Le réalisateur James Hawes nous livre, avec le très sobrement intitulé « Une Vie », le biopic d’un homme qui resta longtemps un héros totalement passé sous les radars de l’Histoire. Alternant sans cesse entre 1987 et 1938-39, accompagné d’une musique un tout petit peu envahissante, James Hawes propose un film a la réalisation très conventionnelle, qui semble s’effacer discrètement derrière son sujet. Ceci dit, la réalisation tout conventionnelle qu’elle soit, prends soin de ne pas verser dans le pathos plus que nécessaire (même s’il n’est pas évident de garder son œil sec par moment) ni montrer la violence nazie avec une complaisance qui met toujours un peu mal à l’aise. Son film, qui dure 1h50, passe très vite, preuve que son montage qui alterne entre le présent et le passé permet de donner un rythme efficace au film. La reconstitution de Prague juste après l’annexion des Sudètes et juste avant l’invasion de la Pologne, une ville de Prague submergée par les réfugiés de la région annexée et menacée par l’Allemagne toute proche, est plutôt réussie. Cette reconstitution n’est pas non plus ébouriffante (l’action se déroule en grande partie dans des bureaux et à la gare) mais nul besoin d’en montrer plus qu’il n’en faut pour que l’on comprenne en deux scènes la situation de pauvreté et de désœuvrement de ces réfugiés en sursis. Le rôle de Nicholas Winton échoie à deux comédiens Anthony Hopkins pour 1987 et Johnny Flynn pour celui de 1938. Déjà, je trouve qu’il y a un air de vague ressemblance qui montre que le casting a été fait judicieusement. Ensuite, tout le monde connait les qualités de Sir Hopkins et nul n’est surpris de le voir ici tout en retenue et en modestie, toujours l’émotion contenue. Il y a chez ce Nicholas Winton là une pudeur attendrissante, celle de l’homme honnête qui n’estime n’avoir fait que son devoir, et qui aurait voulu faire tellement plus. Johnny Flynn donne corps lui à un Nicholas Winton différent, plus combatif, plus à fleur de peau. Même si les seconds rôles tenus notamment par la toujours parfaite Helena Bonham Carter, Lena Olin ou Romola Garai sont bien tenus, ils auraient pu être un tout petit peu plus écrits. Et c’est surtout le cas pour les acolytes de Winton œuvrant sur le terrain, ceux qui ont pris de vrais risques pour leur vie. Ceux là, incarnés par Alex Sharp ou Romola Garai, aurait peut-être mérité un peu plus de lumière.
Car si Nicholas Winton ne ménagea pas sa peine et son courage pour exfiltrer plus de 600 enfants, il le fit en Angleterre pendant que les autres le faisaient à Prague.
Mais c’est vrai que ce fut son idée, son initiative, son entêtement qui firent la réussite de cette opération, c’est indéniable. Le film évoque un épisode mal connu de l’avant-guerre, épisode passé sous silence et écrasé par les horreurs qui l’on suivi. Néanmoins, sauver la vie de 600 enfants n’est pas une réussite anecdotique, loin de là. Si le scénario évoque donc un épisode
qui ne fut mis en lumière par la BBC qu’en 1987 comme c’est montré à la fin du film (dans une émission de TV un tout petit peu voyeuriste)
, la sortie du « Une Vie » dans le contexte de 2024 ne peut laisser indifférent. L’annexion par l’Allemagne nazie d’une région entière de la Tchécoslovaquie sous le prétexte de la culture et de la langue (les Sudètes), la lâcheté des chancelleries occidentales qui laissent faire, l’atmosphère munichoise qui cherche à tout prix, à n’importe quel prix, à éviter une Guerre de toute façon inévitable, des réfugiés qui encombrent, dont personne ne veut chez soi, tout cela résonne drôlement fort dans l’Europe de 2024. Il est des films qui sont des piqures de rappel pour ceux qui ont oublié leur cours d’Histoire, ou pour ceux qui les ont séchés. L’Histoire ne se répète jamais, mais elle bégaye, et ne pas connaitre le passé nous obligera peut-être à le revivre. Alors, même si « Une Vie » n’est pas un chef d’œuvre du 7ème art, même s’il souffre de quelques petits défauts de forme, c’est un film qui mérite d’être vu. Nicholas Winton est mort à 106 ans après une vie d’engagement politique et humanitaire, c’était un héros discret et humble, les deux qualités les plus précieuses des vrais héros.