La comédie de Fernando Léon de Aranoa est très réussie, pas la peine de tourner autour du pot, « El Buen Patron » est une satire sociale qui fait mouche. La réalisation de Fernando Léon de Aranoa est très bien maîtrisée, son film dure 2 heures mais il est tout à fait équilibré. Bavard, mais pas trop, drôle sans oublier d’être grave (la scène d’ouverture est très angoissante), il réussit à tout bien doser comme il faut. L’humour, le suspens
(avec une scène de fin géniale qui se termine sur un point d’interrogation magnifique et terrifiant)
, la gravité des thèmes évoqués
(racisme, harcèlement sexuel, délinquance)
mais aussi la légèreté de certains dialogues à la limite du surréalisme (avec le personnage du gardien), tout est dosé au milligramme pour donner au final un film qui passe comme une lettre à la poste. Je remarque aussi l’utilisation de la musique, avec deux longues scènes sans paroles mais qui sont des scènes clefs que la musique sublime franchement, la première sur « Roméo et Juliette » de Prokofiev et la seconde sur « Feeling Good ». D’ailleurs la réalisation utilise souvent cette technique qui consiste à filmer de loin une conversation pour nous laisser deviner, grâce au langage des corps, ce qu’elle contient. Fernando Léon de Aranoa, dont le personnage principal semble obsédé par l’équilibre (pour une fabriquant de balance, c’est assez naturel), réussit lui aussi dans la forme un film parfaitement dosé. Sans vouloir dénigrer le travail des seconds rôles, Manolo Solo, Almuneda Amor et Oscar de la Fuente en tête, tous les trois parfaits avec des rôles plutôt bien écrits, c’est bien Xavier Bardem qui emporte le gros lot. Vieilli et un peu grassouillet, il donne corps à un personnage surement fascinant à incarner car il semble traversé de toutes les émotions, de la scène d’ouverture et son discours un peu lénifiant à la scène de fin et son suspens silencieux. Sous le vernis de cet homme, il n’y a pas besoin de gratter beaucoup pour voir apparaitre le patron sans scrupules,
qui se mêle de tout, manipule et achète sans vergogne, trousse ses jolies stagiaires avant de les envoyer se faire voir ailleurs, utilise ses employés pour les faire travailler le dimanche dans sa propriété (peut-être même sans les rémunérer), joue de ses relations lorsque ses intérêts sont en jeu, dénonce à la police s’il le faut, voire pire.
« El Buen Patron » c’est le portrait d’un patron qui s’imagine être un bon patron, alors qu’il n’est qu’un homme sans morale et sans scrupules. Bardem est parfait dans ce rôle complexe et multi facette, dont la vie devient très compliquée en l’espace d’une petite semaine. Le film est découpé en chapitres comme autant de journée et chaque journée voit son lot de problème s’ajouter, s’entremêler, s’envenimer. D’abord il y a José, cet employé licencié qui campe devant l’entreprise avec son mégaphone et qu’il n’arrive pas à faire décamper.
Il essaie tout, de la solution négociée à la pire des options, et rien ne fonctionne.
Et puis il y a Miralles, son second qui perd les pédales et qui met l’entreprise en péril.
Là encore, il tente tout, maladroitement, et rien n’y fait, la situation empire
. Et puis il y a le jolie Liliana, qui lui a tapé dans l’œil et qu’il compte bien mettre dans son lit,
sans se douter une seconde du guêpier venimeux dans lequel il va se fourrer, car cette fille est un frelon asiatique !
Le film est une fuite en avant pendant laquelle ce patron, adepte du capitalisme paternaliste à visage humain, va montrer son vrai visage, celui d’un porc à balancer, celui d’un petit notable sûr de son impunité, celui d’un héritier qui pense qu’au final, tout lui est dû. Sa chute, car c’est bien d’une lente chute qu’il s’agit (surtout si on interprète la scène finale comme je l’ai fait), est assez réjouissante à observer. « El Buen Patron » est une satire sociale espagnole qui vaut pour tous les pays du monde et qui est à mettre d’urgence devant tous les yeux. C’est un petit plaisir de comédie espagnol à s’offrir, en VOST bien entendu.