Javier Bardem est en très grande forme, on le sent bien, tant El Buen Patron doit à sa capacité à jouer à merveilles ce patron gorgé d'hypocrisie, prêt à tout pour avoir le Prix d'Excellence des firmes nationales, quitte à écrabouiller ses employés sans scrupules. Radin, faussement soucieux de ses employés (seulement si cela peut bénéficier à l'entreprise, sinon il s'en fiche), avec un goût certain pour le profit de son statut supérieur (il connaît tout le monde, a le bras long, influence les jeunes femmes qu'il convoite... On adore détester Bardem, il brille tant dans ce rôle d'odieux personnages !). Et là, non seulement El Buen Patron nous rappelle méchamment ce que sont les pires spécimens du patronat, mais fait forcément écho, même à moindre mesure, à celui que l'on a au quotidien, et nous de rire (pure catharsis du petit employé). On adore aussi le montage dynamique, les retournements de situation bien pensés, la musique, l'espace que laisse la caméra à la gueule de Bardem qui lui rend bien : voyez seulement ce patron qui sourit par mécanisme, qui pleure quand cela l'arrange, qui joue du maniérisme des puissants (le ton calme et posé, la main posée sur les épaules au restaurant... Ça nous rappelle presque des politiques...). Le final nous a tapé dans l’œil avec sa séquence de "striptease" devant les jurés du Prix :
le patron qui se sert des horreurs qu'il a provoquées en les retournant à son avantage, un discours délicieusement immonde que la musique "sexy, parfaite pour un effeuillage réussi" dévoile pour ce qu'il est, un dragueur éhonté devant un public dithyrambique (les jurés) et un public muet (ses employés).
Le climax du film, que l'on attend depuis le début, et qui ne nous déçoit clairement pas lorsqu'on y arrive ! Aussi la dernière réplique nous a achevé, quand on pensait, sans trop y croire, à un début de rédemption de ce patron,
maintenant qu'il a son Prix : alors qu'il l'a accroché avec l'aide de l'homme dont il a causé la perte du fiston, le patron se met à pleurnicher, ce qu'on avait naïvement imputé à de la tristesse, s'attendant à la réplique "Ce n'est pas ça qu'on aurait dû accrocher" (mais un souvenir du fils disparu qui lui a permis d'obtenir le Prix), ou même un petit "J'aurais aimé qu'il soit là.", mais non... "Ce n'est pas, un peu...(penché) ?". Il pleure de joie d'avoir obtenu le Prix, et voudrait que le père endeuillé le redresse. Un monstre. Jusqu'au bout : un monstre
. Cette petite phrase finale achève d'un coup le portrait de ce patron, joyeusement horrible, épouvantablement génial de cynisme, un portrait qui doit tout à l'humour noir grinçant de son scénario, et évidemment à la capacité formidable de Bardem à jouer les ordures dont on n'arrive pas à détourner le regard une seconde.