Anne Le Ny propose avec « Le Torrent » un film noir plutôt efficace, à défaut d’être franchement original ou de renouveler le genre. Déjà, elle part d’un scénario original qu’elle a écrit et pas d’une adaptation plus ou moins fidèle d’un roman noir, comme c’est si souvent le cas : bon point. Elle campe son intrigue dans les Vosges, entre Gérardmer et Epinal, et en plein hiver. Et les Vosges en hiver, pour un cadre de film noir, c’est juste parfait ! Les paysages sont magnifiques mais en même temps vaguement inquiétants, on sent la nature à peine apprivoisée, les torrents qui sortent de leur lit facilement, les routes souvent impraticables, les éléments pas toujours faciles à dompter : deuxième bon point. C’est donc dans ce décor et sous un ciel perpétuellement menaçant (pas un brin de soleil hivernal, dans aucune scène) qu’Anne Le Ny plante sa caméra. Son film est très bien tenu, il ne prend pas un temps infini à démarrer sans pourtant partir bille en tête. On comprend finalement assez vite que c’est la place de Lison dans la famille qui sera un peu le cœur du film. Le travelling du générique est efficace, on remonte le cours du torrent pour finir sur un plan qui en dit long. La musique est sympathique et pas envahissante, la photographie est soignée et le film ne manque pas de scènes fortes et de moment psychologiquement intenses. Il parait peut-être un tout petit peu plus long que ce qu’il n’est, mais c’est peut-être parce que le rythme du film est assez lent. Anne Le Ny se réserve le rôle de la capitaine de Gendarmerie (affable mais qui n’hésite pas à bousculer son monde l’air de rien) et elle offre le rôle du mari à José Garcia. Délicieux et drôle au début, il devient lentement antipathique, plus préoccupé par son propre sort que par la situation intenable dans laquelle il plonge sa fille, tout en prétendant (cyniquement) vouloir la protéger. Son rôle est toujours sur le fil,
on sait qu’il n’est pas un assassin (on sait d’emblée comment les choses arrivent, il n’y aucun suspens sur les circonstances de la mort de sa femme) mais à force de cynisme et de mauvaises décisions, il assèche le capital sympathie de son personnage, goutte après goutte, sans néanmoins jamais le tarir totalement.
Il est très bien José Garcia, comme toujours, et bien entouré par André Dussollier (dans un rôle là aussi très nuancé) et Capucine Valmary, très touchante et toujours juste dans un rôle somme toute assez difficile. Les seconds rôles ne sont pas oubliés, et assez bien écrits, que ce soit par Christiane Millet ou Victor Pontecorvo. Ce n’est ni dans la réalisation, ni dans le casting, ni dans l’écriture des personnages que l’on peut rester un peu sur sa faim mais plutôt sur un scénario efficace mais quand même assez lisible et convenu.
Je l’ai dit, il n’y a pas de suspens sur les conditions de la mort de Juliette, le spectateur voit ce qu’il en est, et on n’est pas dans le jeu du « je mens ou je ne mens pas ». On est plus dans un suspens à la « Columbo », on sait comment ça va se terminer, ce qu’on ne sait pas, c’est juste combien de gens vont y laisser des plumes et jusqu’à quel point. Car quand on a un personnage central qui prend mauvaise décision sur mauvaise décision, qui embarque avec lui sa fille de 18 ans, la mettant dans une position intenable et douloureuse, ça ne peut pas finir bien. Au moment où une porte de sortie s’ouvre à lui, et qu’il pourrait en profiter pour faire marche arrière, au contraire, il s’enfonce e encore plus et enfonce encore sa fille dans l’abîme du mensonge, il n’y a alors plus aucune chance qu’il s’en sorte indemne.
Les rebondissements
(le coup de la crise cardiaque)
sont quand même assez vite éventés et pas follement convaincants, le film manque un petit peu de substance et de surprise. Le scénario s’axe davantage sur Lison, et le poids du secret lourd à porter et la souffrance que cela lui occasionne, avec laquelle elle débrouille plus ou moins bien. On est donc davantage sur un film noir psychologique qu’un pur polar. Néanmoins, même en lui reconnaissant une certaine faiblesse scénaristique et un manque d’inventivité, je dois reconnaitre que le film fonctionne carrément et nous embarque avec lui sans jamais nous lâcher, jusqu’au dernier plan, douloureux, et délicat. C’est un bon film, et même s’il ne restera pas dans les annales du genre, une chouette séance de cinéma.