Je commencerai par la conclusion du film :
une conclusion réaliste.
Nécessairement, elle partage : le malheur des uns fait le bonheur d’un autre.
Anna mère de famille de deux garçons a pour charge d’éduquer, d’élever le petit Simon placé par l’Assistance Sociale pour laquelle elle est missionnée.
Sa mission : préparer les enfants, placés sous sa tutelle, à retrouver leur « vraie famille ».
Ici, Simon arrivé dès l’âge de 18 mois va petit à petit réintégrer sa cellule familiale composée que… de son papa. Il a 6 ans et son papa semble enfin prêt à le recevoir.
Le réalisateur nous présente dès l’introduction de son film une famille de tous les jours, qui rit, qui pleure, qui joue, très unie. Anna, son mari Driss et leurs « trois » enfants.
Seulement, au bout d’un quart d’heure (à peine, je ne sais pas trop) on apprend, suite à la visite d’Anna chez l’assistante sociale, qu’un des trois enfants nommé Simon est appelé à retrouver son papa.
Etonnement dans la mesure où cet enfant appelle Anna « maman ».
Georges Gorgeart s’est amusé succinctement avec le spectateur.
"Amusé" n’est sans doute pas le mot, la piste qu’il me donne à suivre à l’entame du film s’avère être une fausse piste.
Un étonnement qui se meut en sidération subtilement jouée par Mélanie Thierry. L’annonce de l’assistance sociale, Nabila (Florence Muller), saisit à froid Anna, on le perçoit, et Mélanie Thierry l’exprime avec une maîtrise talentueuse. Il en sera ainsi tout au long du récit. L’actrice saura exprimer jusque dans ses silences la douleur de son personnage lequel saura « jouer » aussi la manipulation ; même si le mot est un peu fort, Anna sera d’une politesse hypocrite.
Cruel et vain : elle recule l’inévitable. D’où une souffrance annoncée.
Le réalisateur n’est pas tombé dans le conte de fée, ni dans un retournement de situation qui aurait permis à Anna de garder Simon ; et surtout ne pas faire du papa un personnage antipathique.
Le spectateur peut tomber dans le piège du parti-pris : choisir le camp d’Anna où Simon semble intégré à la famille ; depuis ses 18 mois jusqu’à ses six ans, on peut très bien comprendre que Simon ait pris ses marques, on peut considérer qu’il est de la famille, il a ses habitudes, son mode de vie est confortable.
A contrario, on pourrait voir d’un mauvais oeil l’arrivée de ce père qui n’a pas été capable d’élever son enfant seul.
Maintenant, on peut aussi saluer son honnêteté : il ne se sentait pas disposé à élever son fils car trop abattu par la disparition de sa femme.
Mais on pourrait aussi lui en vouloir d’avoir plus pleurer sa femme que son fils qui, pour le coup, est passé au second rang.
Bien sûr Georges Gorgeart nous offre quelques situations délicates entre Anna et Eddy, le père, qui peuvent fâcher le spectateur et le conforter dans son parti-pris pour Anna.
Là encore, c’est assez subtil dans la réalisation et dans le jeu de Félix Moati qui a bien défendu son rôle.
La direction d’acteurs, premier cheval de bataille que je place devant la mise en scène, est importante pour croire à ce récit poignant.
Georges Gorgeart a su diriger ses acteurs notamment Mélanie Thierry et Félix Moati lesquels ont remarquablement traduit la frontière entre le déni et l’inévitable pour Mélanie Thierry, entre la fragilité et sa détermination à assumer coûte que coûte son rôle de père pour Félix Moati.
Un film déchirant qui monte petit à petit crescendo parce qu’Anna n’a pas joué le jeu de sa mission. Et on peut la comprendre comme on peut évidemment comprendre le père de Simon.
C’est pourquoi le réalisateur ne porte aucun jugement sur les motivations de l’une et de l’autre.
Le dernier plan permet de cicatriser définitivement cette plaie morale, laquelle permet aussi la réconciliation.
Le film montre à travers Anna la difficulté de sa mission, trouver l’équilibre entre aimer et trop aimer ; imposer des limites comme ne pas se faire appeler « maman »…