Lina Soualem est la fille du comédie Zinedine Soualem. Elle filme ses grands-parents, Aïcha et Mabrouk, des immigrés algériens installés à Thiers en Auvergne depuis les années cinquante, qui, après plus de soixante années de vie commune, décident de se séparer.
Le très justement titré "Leur Algérie" peut se lire à trois niveaux.
C'est d'abord, comme son titre l'annonce, le témoignage de deux immigrés, au crépuscule de leur vie, sur leur exil en France, la décision jamais totalement assumée de s'y installer définitivement et la façon d'y avoir amené avec eux "leur" Algérie. À ce titre est particulièrement intéressante la justification qu'ils donnent à leur retours de plus en plus épisodiques au bled et à leur peu de soin à transmettre à leurs enfants la langue et la culture algériennes : "Quand on nés Algériens, on est Algérien, pas besoin d'y aller pour ça [ou d'en parler la langue]". "Leur Algérie" trouve ainsi légitimement sa place dans une histoire de l'immigration algérienne encore en cours de réalisation, où les documentaires filmés seront aussi utiles que les thèses écrites.
Plus anecdotiquement, "Leur Algérie" s'inscrit dans un espace bien particulier. Il se déroule à Thiers, une petite ville industrielle jadis capitale de la coutellerie qui, comme tous les centres industriels en manque de bras, fit appel dans l'après-guerre, aux travailleurs maghrébins. L'industrie est aujourd'hui en déclin sinon en faillite et la coutellerie n'est plus qu'une attraction pour touristes.
Enfin et surtout, "Leur Algérie" est le portrait de deux êtres, Aïcha et Mabrouk, unis l'un à l'autre par un mariage arrangé et qui ont partagé une vie sans amour. Le constat est cruel et la caméra de Lina Saoulem souvent impudique qui pousse ses deux grands-parents dans ses retranchements. La vieille femme lui oppose un fou rire nerveux et cache son visage dans ses mains. La stratégie de fuite de son grand-père est toute différente : il se mure dans son silence. Un silence qu'il a semble-t-il affecté toute sa vie, une vie de dure labeur, une vie pleine de rancœur, une vie que l'arrivée de ses enfants ne semblent même pas avoir égayée. Une vie sans bonheur.