Lorsqu'on pense à tous ces compositeurs aux personnalités tourmentées, aux vies difficiles ou romanesques, à la sexualité contrariée, de Beethoven à Britten, que de sujets de biopics! Mais s'il y en a bien un qu'on ne mettrait jamais dans cette cohorte, c'est Maurice Ravel! Bourgeois né au sein d'une famille unie, compositeur rapidement reconnu, mondain élégant... une vie dépourvue de tout scandale sentimental ou sexuel. Pas d'amoureuse, mais en même temps, même pas un petit peu queer! C'est dire s'il faut du courage pour s'atteler à son biopic, et on devrait donc être reconnaissant à Anne Fontaine de s'y être mise. Et d'ailleurs, les personnages lisses ne sont ils pas les plus intéressants parce que l'on suppose, derrière la façade, un monde souterrain?
Hélas! Eut il fallu encore respecter les faits... Et de ceux là, Anne Fontaine se fiche complètement. On nous dira qu'elle n'a pas tourné une biographie de Ravel, mais bien du Boléro, cette scie qui à cet instant même est forcément jouée en quelque point du globe, qui a été plagiée, torturée de toutes les façons possibles et imaginables. Moi qui suis une inconditionnelle de Pierre Dac et Francis Blanche, j'ai un faible pour l'hymne du parti de tous ceux qui n'ont pas pris de parti. Vu comme ça....
Premier mensonge: on a l'impression que Ravel est le fils unique d'une mère poule, d'une mère seule (interprétée ici par Anne Alvaro). On le voit se réfugier dans ses jupons après ses échecs répétés au prix de Rome (aux mains d'un jury hostile à toute innovation). Or, non seulement son père, qui avait toujours encouragé sa vocation musicale, était encore vivant, alors, et la famille était unie, mais Maurice a toujours entretenu des liens étroits avec son frère Edouard, totalement absent du film. Donc, l'histoire du complexe d'Oedipe, ça ne marche pas. Raté. Et puis, sa mère n'est pas morte dans ses bras, à son retour de la guerre où il avait insisté pour s'engager, alors qu'il devait être réformé à cause de sa constitution malingre. Elle est morte, à son grand désespoir, alors qu'il était encore au front.
Ensuite, Fontaine prête à Ravel (excellement incarné par Raphaël Personnaz, qui arrive même à vaguement lui ressembler) une amitié exclusive avec Misia Sert (Doria Tillier), pianiste de talent et surtout mondaine, trois fois mariée et accumulant les aventures, la reine, la vedette absolue des salons de l'époque, ainsi qu'avec son frère Cipa Godebski (Vincent Perez). Or, absolument rien ne prouve qu'il y ait eu la moindre love affair entre Maurice et Misia, Pourquoi imaginer qu'il ait été le grand amour de cette briseuse de coeurs, et qu'il ait renoncé à elle, uniquement parce qu'il voulait se consacrer à la musique et rien qu'à la musique? Pourquoi inventer cela? Pourquoi Ravel n'appartiendrait-il pas à la dernière catégorie des LGBT+ discriminés, les "no-sex", ceux que ça n'intéresse pas plus que ça...En fait, tous appartenaient à cette grande bourgeoisie parisienne cultivée...
Pour en revenir à ce fameux Boléro -mais heureusement, on n'entend pas que lui, mais aussi beaucoup de compositions pour piano interprétées par Alexandre Tharaud qui joue par ailleurs le rôle du critique Lalo, très virulent contre la musique de Ravel-, il lui a été commandé par la danseuse et chorégraphe Ida Rubinstein, dont Jeanne Balibar, qui n'a peur de rien et surtout pas du ridicule brosse le portrait d'une excentrique exaltée et envahissante, collante et insupportable. Il n'arrive pas à écrire cette espagnolade, partageant ses doutes avec son amie et, en quelque sorte, conseillère musicale, la pianiste Marguerite Long (Emmanuelle Devos)
Ida en fera un ballet vulgaire et ridicule, mais pour les autres, c'est la révélation: pour la première fois, le sec, le cérébral Maurice a écrit une musique érotique! Il déteste cette musique qui occulte ses autres oeuvres. Qu'y a t-il de vrai là dedans? Je pense que les vrais ravelliens (dont je ne suis pas) ont du faire des bonds... Oui, Ravel avait des difficultés à composer, on le sait; sans doute a t-il été agacé du triomphe d'une oeuvre de commande, alors qu'il considérait bien d'autres partitions comme très supérieures.
Et puis, il y a sa triste fin, atteint d'une maladie neuro-dégénérative, entièrement livré aux soins de sa gouvernante (Sophie Guillemin),une véritable Céleste Albaret. Bref, Anne Fontaine, avec l'autorisation de tourner dans la maison du compositeur, à Montfort l'Amaury, avec cette belle distribution, aurait pu réaliser une oeuvre passionnante, mais sans doute moins romanesque. Mais on n'a pas le droit, quand on ne sait pas, d'inventer une fausse vérité. Dommage, c'est raté!!