Pourquoi il faut aller voir « Boléro » de Anne Fontaine (essai de critique « militante »).
D’où je parle ? Je suis un mélomane, musicien amateur, tombé dedans étant petit, mais n’ayant pas fait de la musique ma profession.
J’ai aimé ce film, même s’il a quelques faiblesses sur lesquelles je reviendrai. Mais je voudrais d’abord expliquer pourquoi il FAUT aller le voir, alors que la critique parisienne et cinéphile le dénigre un peu si l’on en croit le nombre d’étoiles presse et spectateurs sur ce site. Pourtant, si vous vous intéressez un tant soi peu à l’art, a fortiori à la musique « savante », ou à cette période incroyablement riche culturellement du début du 20e siècle, ou bien si vous êtes juste curieux, ce film vous intéressera et peut-être même vous passionnera.
En fait les films qui traitent de la vie de grands compositeurs sont rarissimes. Amadeus (Milos Forman, 1984), fut un véritable choc, qui a d’évidence bénéficié à la compréhension de la musique classique pour un très large public, et redonné un intérêt pour cette forme d’art, malheureusement en train de retomber totalement. Auparavant il y avait eu un « Mahler », de Ken Russel (1974), que je n’ai pas vu, qui est à mon avis d’audience confidentielle et sorti bien avant que Mahler soit réellement « populaire » si on peut utiliser ce terme.
Depuis, quoi ?
« Tous les matins du monde « (Alain Corneau, 1991) a apporté énormément à la connaissance de la musique baroque, sur instruments anciens. Mais on ne peut pas dire que ce soit vraiment un biopic de Marin Marais, compositeur d’ailleurs relativement oublié aujourd’hui.
« Ludwig van B. », de Bernard Rose, date de 1995, pas vu non plus.
Depuis … Rien ! Nada !
La musique classique est devenue d’année en année plus confidentielle dans sa diffusion grand public (certains disent « élitiste » mais ce sont les mêmes qui fréquentent les galeries d’art contemporain), et ne fait donc pas vendre au cinéma. A titre de comparaison je nous invite à nous poser les questions suivantes :
combien de films sur des peintres célèbres ? (réponse : un site concurrent et ami en recense 49 ! https://www.senscritique.com/liste/films_retracants_la_vie_de_peintres_celebres/52625 )
Combien d’extraits de musique classique utilisés par le cinéma, voire ressassés jusqu’à l’écoeurement par la publicité ? A tel point que ces musiques ne sont connues, la plupart du temps, que par ce biais ? (je n’ai pas la réponse mais bien entendu c’est énorme)
Donc Anne Fontaine a déjà eu le grand mérite de s’attaquer à cet exercice, plus que nécessaire !
Pour cela elle a choisi Maurice Ravel, qui, faut-il le rappeler, est avec Claude Debussy et Igor Stravinsky l’un des compositeurs français les plus reconnus du siècle dernier, et ceci dans le monde entier (en remontant les 200 dernières années, il n’y en a pas tant que ça qui ont passé les frontières : sans être évidemment exhaustif, on peut citer Berlioz Franck Saint-Saëns Bizet Fauré pour le 19eme siècle, Debussy Ravel Stravinski Poulenc Messiaen Boulez pour le 20eme).
Et pour moi elle y arrive assez bien. Bien qu’elle indique dans le générique de fin que certaines situations ne correspondent pas à la réalité historique, le scénario est assez fidèle à la réalité historique et à ce que l’on connait de la vie privée de Maurice Ravel. Cet homme qui n’a manifestement jamais connu de relation de couple, voire de relation amoureuse, fut une sorte d’archétype de l’artiste qui met toute sa libido dans la création, et c’est précisément cela qui fait tout l’intérêt du personnage.
J’ai donc trouvé le récit passionnant de bout en bout : l’histoire bien connue des échecs successifs au prix de Rome, les relations mondaines de Ravel qui ne débouchent jamais sur une véritable histoire d’amour, l’influence de l’environnement (les sons industriels, le jazz naissant) sur la création musicale, la problématique de la musique « sur commande », puis celle du succès, du « tube » dira t-on plus tard, qui masque tout le reste, et devient une souffrance pour l’artiste, surtout quand on pense comme moi que rien n’est à jeter dans l’oeuvre de Ravel, ce perfectionniste hypersensible !
Tout cela est vrai, et restitué de manière crédible.
J’ai néanmoins 2 regrets :
le jeu d’acteur un peu faible de Raphaël Personnaz et surtout Emmanuelle Devos, dont les personnages (Ravel et Marguerite Long) sont un peu désincarnés; ces derniers sont certes tout en finesse, mais n’était-il pas possible de leur donner un peu plus de vie ?
Il y a un peu de musique de Ravel (hors boléro), mais pas assez à mon goût et avec un volume un peu faible; une occasion manquée de mettre en valeur le vrai génie musical de Ravel ? D’aucuns me répondront qu’il faut vivre avec notre époque de vivacité et de zapping.. pas convaincu dans ce cas.