Emmanuel Cappellin a commencé à réaliser ce documentaire en 2013. En 2009, le réalisateur est parti aux quatre coins du monde filmer des personnes qui vivaient les conséquences directes du changement climatique (feux de forêt aux Etats-Unis, sécheresses en Australie, etc.). Au fil de ce projet, initié par Yann Arthus-Bertrand, il a recueilli des témoignages à vif, mais aussi des entretiens avec des scientifiques. Emmanuel Cappellin se rappelle :
"En Australie, j’ai ainsi rencontré un spécialiste des coraux, qui meurent de l’acidification des océans. Or au lieu de m’entretenir avec un savant discourant en toute objectivité, j’ai découvert un homme dévasté. Il avait deux enfants : un fils de 10 ans qui faisait des dépressions à cause du changement climatique, et une fille de 15 ans qui avait lâché l’école car elle ne croyait plus en l’avenir. Je me suis demandé si j’avais, face à moi, une famille particulièrement sensible, ou bien plutôt les prémisses d’une réalité sociale qui sera de plus en plus partagée. Ça a été le point de départ de mon film... "
"A la même époque, lors d’un autre tournage, j’ai voyagé en Asie, entre la Chine et Singapour, sur un porte-conteneur qui transportait 18.000 camions. Pour la première fois, j’ai ressenti viscéralement l’ampleur de notre action sur le monde et dans le même temps l’inertie de cette puissance. J’étais à la proue de cet immense paquebot et je voyais la mer agitée, mais je ne sentais pas son mouvement. On fendait les flots, tout droit vers une tempête qui pointait à l’horizon. C’est cette expérience très forte et personnelle que j’ai essayé de traduire dans cette image du paquebot qui amorce le film."
Après avoir étudié les sciences de l’environnement et le développement international à l’Université McGill (Canada) puis la réalisation et la production audiovisuelle au Berkeley Digital Film Institute (USA), Emmanuel Cappellin choisit le documentaire pour explorer la relation entre les humains et leur planète.
Il débute avec Frédéric Back, militant écologiste des premiers jours et réalisateur de films d’animation oscarisés, réalise ensuite plusieurs court métrages, monte en 2007 le documentaire To the Tar Sands de Jodie Martinson (sélectionné au DOXA à Vancouver et au Festival International du Film de Calgary) et part en Chine en 2010 produire et réaliser Thoughts & Reflections.
Aujourd’hui chef opérateur régulier de Yann Arthus-Bertrand, il a réalisé des centaines d’interviews pour les films Témoins du Climat (2009, France 5), Human (2015, sélection Mostra de Venise, France 2) et Woman (2020). Une fois que tu sais est son premier long métrage documentaire.
Emmanuel Cappellin a cherché à éviter deux écueils qui menacent habituellement le documentaire écologiste : le constat froid et le torrent d'émotions. Il raconte : "Si un équilibre a été trouvé – ce sera au public d'en juger – je le dois à mes discussions sans fin avec de nombreuses personnes dont la productrice du film Clarisse Barreau et en particulier la chef-monteuse Anne-Marie Sangla qui a écrit et réalisé le film en collaboration avec moi."
"A chaque fois que je lui disais : "Je me fous du constat scientifique sur le climat, plus de 600 films l'ont déjà raconté. Ce qui m'intéresse, c'est de voir ce qui se passe quand on a grimpé la longue et raide pente de la prise de conscience", elle me répondait : "Ah oui ? Et comment tu vas nous emmener faire ce voyage avec toi si tu ne nous donnes pas un minimum de bagages et d'équipement pour partir à l'aventure ?" C'est grâce à elle si le film est peu à peu devenu plus accessible, plus généreux si j'ose dire."
"Pour éviter que ce que nous avons glissé de "constat" dans le film ne soit trop froid et distant, nous avons fait le choix de raconter mon propre cheminement en écho à celui des expert.e.s du film et à celui de toute une génération confrontée au constat. Le fil rouge de ma vie qui s'enracine dans un village, l'action de ses élus, la recherche d'une forme de relocalisation qui permet de retrouver du pouvoir d'agir, c'est quelque chose qui est venu peu à peu dans le film et que je n'avais pas du tout anticipé."
Parmi les nombreux experts que l'on peut voir dans Une fois que tu sais, nous pouvons compter sur la présence de Pablo Servigne, co-inventeur du terme "collapsologie" et qui en a permis la démocratisation. Emmanuel Cappellin note :
"Bien avant ce projet de film, j’ai découvert la crise écologique pendant mes études dans une université canadienne, qui proposait une approche transversale de cette question, à travers la climatologie, la biologie, la démographie, la géographie, la philosophie... Grâce à cette vision globale, la trajectoire d’effondrement que l’on suit aurait, déjà à l’époque, pu m’apparaître comme une évidence. Pour autant, quand j’ai commencé ce documentaire, cela n’était pas clairement verbalisé. Avec son livre Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne a joué un vrai rôle pour me permettre de trouver les mots, et d’assumer pleinement mes convictions. Les termes qu’il a proposé – effondrement, collapsologie, transition écologique, résillience collective... - résumaient tout ce que je pensais déjà !"
Le film fait voyager les spectateurs à l’international, tout en restant fortement enraciné à Saillans, le village de Emmanuel Cappellin où semble demeurer un élan de vie et d’espoir... Il précise :
"Quand j’ai commencé le film, j’étais dans cette vie internationale et cela m’a permis de chercher les bonnes personnes, où qu’elles soient, pour parler de ces problématiques mondiales. Même s’il m’a fallu pour cela prendre l’avion – et je voulais montrer, aussi, que je ne suis pas le militant parfait, que je suis moiaussi plein de contradictions, comme tout militant peut l’être. Mais une fois ces leçons apprises ailleurs, je pense qu’il faut être capable de revenir à soi. Ce mouvement entre le local et le global est un fil rouge du film : partir chercher de nouvelles informations, et revenir pour essayer d’incarner ces leçons dans notre vie et notre territoire."
"Dans mon film, je défends l’idée que, face aux changements structurels que nous allons vivre, la relocalisation semble être une des solutions les plus enviables. Le local, c’est là que les choses redeviennent possibles, qu’on a une prise sur nos relations sociales, sur comment on se nourrit, on se chauffe ou on se déplace. On peut se sentir écrasés par cette masse d’informations sur la crise environnementale, mais c’est en revenant à une juste échelle, humaine, qu’on avance petit à petit. Pour moi, Saillans représente un espoir dans le sens où ici, on tâtonne, on cherche dès aujourd’hui des façons de prendre des décisions collectives, d’inventer une démocratie participative, d’accueillir des réfugiés, de repenser notre rapport à l’énergie..."