La surface est tourment pour ceux qui y habite, par bien des aspects. Que l’on lutte pour sa famille, sa carrière ou simplement sa survie, il existe pourtant des recoins aussi paradisiaques qu’idylliques, du moment qu’on finit par trouver une raison de s’y attacher. Pippa Ehrlich et James Reed nous emmènent dans un de ces lieux, où la mobilité et la respiration handicapent les bipèdes que nous sommes. Sous l’eau, une forêt sous-marine sud-africaine attire l’attention du documentariste Craig Foster, mentalement et physiquement surchargé par ses obligations professionnelles. En s’y ressourçant, il redécouvre un univers aquatique, nouveau berceau de sa thérapie antidépressive. Tout l’enjeu réside ainsi dans une fascination improbable et exceptionnelle entre ce dernier et un poulpe. Et ce qui sera à l’honneur dans ce projet personnel, c’est bien entendu la sensibilité et la sincérité de l’homme, à vouloir renouer avec un milieu sauvage qu’il continue d’étudier ses merveilles et de les apprécier.
Ce ne sont pas les biologistes marins que ce film tentera d’apprivoiser. L’information se veut avant tout sensorielle et fait donc appel à notre curiosité. Il ne sera pas question de décortiquer l’animal ou le mécanisme du récif, en restant d’ailleurs très évasif à ce sujet. Nous suivons de près Foster et son obsession de briser une frontière, entre nos hypothèses et les réelles activités de la pieuvre. En dehors de ce contexte, il aurait été difficile de raconter quelque chose de plus élaborer et de scientifiquement parlant. On prend le parti d’explorer cette relation intime, sans concessions, sans la voracité de stimuler d’autres espèces. Et quelques maladresses résonnent dans des analogies avec des caractéristiques humaines, que l’on soupçonne être une forme de détresse vis-à-vis d’un plongeur dans une forme de stase. Cependant, le film reste à la recherche d’un équilibre, entre la somptueuse photographie de Roger Horrocks, qui nous envoute avec des plans venus d’ailleurs, et la distance avec l'objet d'étude. Une vive comparaison aux extra-terrestres nous ramène ainsi au « Premier Constact » de Denis Villeneuve, car ces plongées quotidiennes nous invitent inévitablement à repenser notre communication et notre façon d’apprécier ce qui nous est offert par le temps et la nature.
En s’installant dans ce petit écosystème marin, Foster apprend du milieu aquatique comme le poulpe finit par apprendre à sortir de la case asociale. Ce qui les lie réside dans une fascination mutuelle, avant que la confiance ne s’installe. Et pour que tous ces efforts ne sombrent pas dans l’anecdote facile, Foster insiste pour tenir son récit et son hommage jusqu’au bout, quitte à parasiter une narration trop omniprésente. Nous nous garderons bien de constamment laisser sa voix-off interpréter le mode de vie d’un animal, qui est assez lucide pour que son intelligence parle d’elle-même. À l’image d’un bande-sonore vraiment très intrusive, le format va à l’encontre de l’immersion proposée. Elle feint d’accompagner le lyrisme qui découle d’un Craig engagé, heureux et mélancolique. Dommage que l’on répète souvent ces erreurs, évitables, tout comme la perte d’un objectif ou un mouvement trop brusque à en faire fuir ses sujets. Mais il ne faudra pas s’arrêter à ce genre de contradiction pour ne pas s’émouvoir ou encore de croire en la majestuosité d’un environnement que l’on range un peu trop aisément dans la branche ténébreuse du règne animal.
Le plongeur se perd parfois dans son implication, sa vulnérabilité et son impuissance, face à ce que la vie sous-marine finit par donner et prendre en retour. Mais qui pourrait lui en vouloir de s’investir autant dans sa propre renaissance ? « My Octopus Teacher » (La Sagesse de la Pieuvre) est un premier contact et se revendique comme tel. Il est fait de spontanéité et d’un malin plaisir de nager à contre-courant. En plus de son envie de militer pour la protection de ce genre de sanctuaire, Foster n’éteint jamais sa volonté d’aller de l’avant et de nous régaler en sessions de prédations, souvent mécaniques dans le montage mais efficaces. Et le film ne demande pas plus que de prouver que la confiance du céphalopode aura fini par réconforter un malheureux de la surface, qui s’est bâti un nouvel embryon et un second foyer.