C'est très étonnant. Parce que ce qui aurait pu être un doc-vérité médiocre de plus sur une histoire sordide, devient un objet télévisuel qui nous interroge.
Le doc en lui même part du principe que l'on peut retracer toute la chronologie d'un fait divers, de nos jours, rien qu'à travers des documents qui proviennent directement des victimes, ou des proches.
Exit donc les reconstitutions minutieux mais factices, les comédiens qui jouent les protagonistes, ou même les interviews de proches réalisées en studio, avec la jolie petite lumière rasante et le maquillage nickel.
On a ici que du brut, de la caméra de poitrine du flic qui entre dans la maison, jusqu'à la caméra de surveillance de la maison qui filme Madame qui rentre chez elle pour y passer une dernière nuit avant de se faire tuer, en passant par toutes les vidéos postées par la victime sur son compte Facebook et autres, montrant une vie "normale" et "heureuse", avec en bonus, des sms très indiscrets forcément, parce qu'il faut bien rentrer dans la sacro intimité de ce couple pour mieux être touchés ensuite.
C'est presque une sorte d'illustration de l'homme-de-verre du XXIème siècle : la maman et épouse passe son temps à raconter sa vie de famille sur les réseaux, comme tant de familles beaufs américaines et du monde entier font sans chercher à savoir comment seront exploitées ces informations... et tout à coup, ce récit de la vie quotidienne devient la colonne vertébrale d'un documentaire sur le massacre de cette famille.
Comme si les images qu'on produisaient finissaient par nous bouffer, par nous enterrer, par terminer le boulot en enfonçant les clous de notre propre cercueil en venant même le décorer aux yeux du monde entier.
Là où le doc perd de son intérêt de documentaire pour ne plus devenir qu'un vecteur de voyeurisme, c'est lorsqu'on comprend, vers les 3/4 du doc, qu'il n'est là que pour nous montrer au microscope un fait divers, sans rien apporter de plus.
On nous inonde de vidéos montrant ces gamines qui deviendront des victimes (c'est franchement la partie la plus ignoble du concept), de cette femme trop naive ou trop insupportable(?) et de cet homme tellement opaque et insipide qu'il ferait presque pitié, si son absence de profondeur ne l'avait pas acculé à commettre cet acte odieux.
Au final, les aveux et le dénouement sont bâclés, tout arrive en 10 minutes à peine et on se rend compte qu'on a été manipulé, roulés dans la farine.
Pas l'ombre d'une enquête journalistique, pas de recherche sur le passé et le profil psy du père pour essayer de comprendre, pas de mise en lumière un peu transversale où l'on aurait pu comprendre qui était sa femme, et la personne de l'amante est juste esquissée, à peine abordée, et puis disparait dans la brume... alors qu'elle fut l'élément déclencheur.
Après tout ça, je me pose bien des questions, et l'une des pires est "et si le père et tueur visionne un jour ce documentaire et décide de porter plainte pour atteinte à sa vie privée... dans quelle mesure il n'aurait pas raison, et ne pourrait-il pas gagner un procès contre ceux qui ont réalisé ce film?"
Parce que, la question est : peut-on fouiller et tout déballer de la vie d'une famille sous prétexte que cette vie a fini en terrible fait divers ? Et les grand parents des gamines, comment peuvent-ils permettre que l'image de ces deux petites filles adorables puisse devenir à jamais des fantomes dont les sourires innocents continueront à tourner en boucle sur les petits écrans du monde entier pour illustrer un massacre familial?
Une partie de réponse pourrait se trouver là où, curieusement, le documentaire ne creuse absolument pas : le mobile de l'argent.
Et si c'était le cas, les réalisateurs et producteurs ne vaudraient guère mieux que ce tueur.
Et nous aurions soudain à nous demander aussi quelle est notre part de responsabilité à nous, qui payons un abonnement pour regarder ce genre de chose.