Petite anecdote inutile qui ne vous intéressera pas bien longtemps donc en effet, ce sera une petite anecdote, cela fait depuis le festival de Cannes que j'attends de voir "La Fracture" de Chatherine Corsini notamment car ma collègue de travail l'a vu sur place et m'a tout de suite dit que c'était un moment fort, mais surtout un bon moment. Et après avoir vu que globalement l'avis des festivaliers était le même autour du film, j'ai commencé à éprouver une curiosité grandissante pour ce film qui semblait très classique mais doté d'un petit truc propre à lui. Et maintenant que je l'ai vu, je suis content, car je comprends.
Se déroulant sur 24 heures, "La Fracture" va faire jouer le sort contre Raphaëlle et Julie, un couple en fin d'amour et Yann, un manifestant gilets jaunes afin qu'ils se retrouvent tous au service des urgences d'un hôpital de Paris, qui il me semble n'est jamais nommé. À partir de là, le film ne changera plus de décors, introduisant un immobilisme dans l'unité de lieu similaire à la vraie attente aux urgences, où nos personnages vont hurler, se déchirer, apprendre à se connaître et à dépasser leurs apprioris sociaux, mais surtout, ils vont attendre, encadrés par une infirmière épuisée puisqu'elle en est à sa sixième nuit de garde.
L'attente, c'est le premier grand thème du film qui est installé et consommé durant la première moitié du métrage. Les personnages dans leur quotidien attendent que les choses changent dans leurs vies respectives, et ils vont devoir assimiler qu'une fois aux urgences, l'urgence justement de leurs vies sont en pauses, et qu'ils doivent attendre de pouvoir aller mieux. N'importe qui ayant été une fois dans sa vie aux urgences pourra comprendre cette situation : on ne peut plus faire avancer notre existence, on doit prendre sur soi et accepter que maintenant, il faut prendre le temps de se réparer au sens médical, ce qui nous laisse le temps pour réfléchir à comment réparer nos vies, et ça le film l'a très bien compris. Les nombreux dialogues, les rencontres, les retrouvailles, les inquiétudes de chacun viennent appuyer à quel point les urgences font office d'antichambre de notre existence où le rythme de notre vie s'éteint le temps de quelques heures, au mieux.
Intelligemment, le film appuie également sur notre confiance en notre santé, sur notre déni face à notre propre réalité médicale. Les personnages ne veulent pas savoir à quel point ils vont mal et ne veulent pas l'accepter, ils veulent avant tout savoir quand est ce qu'ils pourront reprendre le rythme de leur vie et sortir d'ici. Au milieu du chaos, de la surabondance de personnes en détresse et du peu d'effectifs médical, Corsini à compris comment on peut vivre un moment aux urgences et traite cela avec simplicité et humanité.
Bien évidemment, les urgences sont un paradis fragile, et si le film installe la dure réalité de nos services médicaux dans sa première moitié, c'est pour mieux préparer la seconde partie du film qui fragilise l'infrastructure hospitalière et narrative et nous fait comprendre qu'aussi essentiel qu'est notre droit aux soins urgents, l'hôpital n'est pas invincible pour autant : le personnel, le bâtiment en lui-même, la capacité d'accueil des lieux, tout ça est déjà très fragile et il suffit d'un petit grain de sable pour que l'apocalypse se mette en marche, les urgences représentant alors une sorte de dernier rempart de l'humanité qui ne doit pas s'écrouler, bien qu'on le pense acquis. Bien qu'utilisant la situation des gilets jaunes pour installer son récit et créer un contexte de rassemblement des luttes sociales, il est compliqué de ne pas penser à notre situation actuelle devant le film.
Je ne reviendrai pas longtemps sur le casting qui est dans l'ensemble impeccable, mais je tenais à souligner à quel point Valéria Bruni-Tedeschi se retrouve sûrement avec le rôle le plus complexe, nous faisant jongler entre l'agacement et la compassion, s'appropriant ainsi toute la première moitié du film. Elle ne m'aura jamais autant marqué que dans ce rôle.
Adoptant un style documentaire froid et naturaliste, c'est sûrement de ce côté-là que le film s'avère être le plus faible. Il y a notamment des réglages de l'obturateur qui rendent le moindre mouvement de caméra flou et un travail assez sommaire de l'image tout du long. Il faut noter cependant un travail de l'ambiance réussi concernant l'hôpital, dont on ressent l'aspect insalubre et mourant, toujours à deux doigts de s'écrouler.
Classique cinématographiquement, mais fort humainement, altérant entre l'horreur et l'humour dans un numéro d'équilibriste dans l'ensemble très réussi, "La Fracture" retient l'attention, façonne le portrait de ses personnages avec intelligence, et déroule sa critique sans difficulté. Sans avoir réussi à m'emporter avec passion, le film s'est révélé être un beau moment dont je sors conquis.