J'avais très peur du résultat, au vu de l'attente que j'avais. La Fracture est un film qui revient sur la catastrophe sociale que subit une partie des français, mais aussi sur la destructions de nos services publics, ici en l'occurrence les hôpitaux. Un sujet lourd de sens, qui peut aussi être un piège à clichés, bonne morale libérale, et manichéisme. Fort heureusement, Catherine Corsini dispose d'un récit suffisamment intelligent pour rendre le tout crédible, et intense.
De par sa mise en scène avec une caméra à l'épaule en permanence, le film a un aspect documentaire dès lors qu'il filme les infirmiers et infirmières en plein travail. Derrière quelques phrases sorties à la va vite volontairement, comme dans la vraie vie, on comprend leur situation catastrophique, sans être dans le pataud, ni dans le tire-larme. Ils ne se plaignent pas, ils doivent faire avec ce qu'ils ont. Pas assez de lits, pas assez de médicaments, médecins qui doivent s'improviser cardiologue ou spécialiste des infections respiratoires.. Telle est la cruauté de la réalité actuellement. Catherine Corsini a l'intelligence de ne pas surjouer le sentiment en ne plaçant pas les gens comme des victimes, mais comme des combattants qui doivent faire face à un système qui les ronge. Au niveau de l'hôpital, le réel ancré dans le film est très intense, ça ne s'arrête jamais. Là où le film a aussi été malin, c'est dans son absence de manichéisme.
Les personnages, aussi différents soit-il de par leurs classes (populaire pour le gilet jaune, modeste bourgeoisie pour le couple) ont un coté très humain qui les relie de temps en temps dans le film, sans pour autant en faire des amours. Pio Marmaï livre un rôle de manifestant en colère qui, derrière sa rage et ses remarques parfois absurdes, est profondément humain et social. Le couple bourgeois quant à lui, diffère aussi beaucoup, entre une Marina Foïs dépassée mais qui garde la tête froide, et une Valeria Bruni complètement défoncée au cocktail de médicaments, qui a du mal à contenir ses émotions à tel point qu'elle en est parfois insupportable (peut-être parfois trop même, ce qui nuit un peu à la cohérence), ont toutes les deux une part d'humanité, d'amour où l'on peut se retrouver en elles, bien qu'elles ne partagent pas du tout le point de vue du gilet jaune, qui est celui qui se rattache à une France loin de Paris, qui survit au lieu de vivre. La fin du long-métrage illustre bien cet écart d'ailleurs, leurs chemins se séparent avec des émotions, des envies, mais aussi des résultats différents. Ce n'est pas assez poussé pour penser que c'est ouvertement critiqué, mais je l'ai trouvé forte.
On regrettera peut-être un peu trop de volonté d'en rajouter davantage, comme le discours de ce policier qui aurait mérité plus de finesse, qui n'est là que pour dédiaboliser le CRS et le mettre dans une position similaire au gilet jaune, ce qui est évidemment noble, car les policiers ont aussi beaucoup souffert, mais pas assez élégant pour être pris au sérieux. Son monologue transpire le théâtral, ce qui est dommage. Le passage du fou aliéné est aussi un peu trop gros pour être pris dans l'intensité qu'il est censé apporter. Ca arrive sans trop d'explications, et la conclusion frôle une bien pensance qui n'avait peut être pas sa place dans le film.
Mais La Fracture évite beaucoup de pièges pour livrer un récit social, mettant en évidence et en image la catastrophe que la France traverse. Il n'apporte pas vraiment de solutions, ce qui est compliqué, mais sa volonté de rester neutre en filmant ce réel donne indirectement un message politique fort et urgent. Et ça fait du bien de voir qu'on peut le faire sans être dans une mise en scène larmoyante, ou trop bourgeoise, trop décalée.