Jacques Audiard change de registre. Si l’exploration des rapports humains a toujours été au centre de ses films, il leur porte un regard nouveau avec « Les Olympiades ». Il nous avait jusqu’à présent habitués à des liens verticaux qu’il tissait entre ses personnages, que ce soient au travers de rapports hiérarchiques (« Regarde les hommes tomber », « Un héros très discret »), de rapports de pouvoir (« Sur mes lèvres », « Un prophète », « Deephan ») ou de liens générationnels (« De battre mon cœur s’est arrêté »). Dans son nouvel opus, il place, au contraire, ses personnages sur un même plan horizontal : des trentenaires issus de la même classe sociale qui ont pour point commun d’habiter le même quartier du 13-ème arrondissement (les Olympiades, qui donne son titre au film) et d’être en quête d’épanouissement sexuel et sentimental.
Il y a Emilie, issue d’une famille chinoise, à la recherche de l’amour avec un grand A quand elle n’est pas occupée à jongler entre divers petits boulots alimentaires. Il y a Nora, venue de Bordeaux pour étudier le droit à Tolbiac tout en poursuivant des activités dans l’immobilier et qui semble douter de son désir pour les hommes au point de se laisser tenter in fine par une orientation bisexuelle. Il y a Louise, alias Amber Sweet, qui a fait du sexe son gagne-pain mais a su garder la tête sur les épaules. Il y a enfin Camille Germain, le prof de lettres décomplexé d’origine africaine, qui semble s’accommoder très bien de sa vie dissolue de Don Juan faite de conquêtes éphémères.
La thématique de la recherche de l’épanouissement sexuel et sentimental a été abordée maintes fois au cinéma, au travers de films comme « La vie d’Adèle » ou « Portrait de la jeune fille en feu » pour ne prendre que ces deux exemples parmi les films les plus marquants de ces dernières années sur le sujet. Jacques Audiard apporte ici un regard différent : il s’intéresse moins à la question de l’identité sexuelle pour se focaliser davantage sur la recherche du bonheur. En s’appuyant sur ces quatre personnages principaux et sur ce quartier des Olympiades qui représentent Paris dans toute sa diversité, il nous livre un message fort selon lequel cette liberté de mœurs et cette quête du désir qu’il nous montre ne seraient pas seulement l’apanage de quelques cas isolés, mais le lot d’une bonne partie de la jeunesse d’aujourd’hui. Quête que résume très bien cette réplique prononcée par Camille au début du film : « je compense ma frustration professionnelle par une activité sexuelle intense ».
Au cours de son récit, Jacques Audiard suit chacun de ces quatre personnages soit de façon individuelle soit en couple. En évitant de multiplier les liens entre eux, il apporte une grande fluidité à l’ensemble. Emilie et Nora sont chacune à leur tour séduites par Camille mais les deux jeunes femmes ne se croisant que l’espace d’une seule scène. Amber Sweet n’a, elle, de lien qu’avec Nora.
Cette fluidité est agrémentée de dialogues rythmés ponctués de quelques pointes d’humour pince sans rire et d’une musique électronique qui reflète parfaitement le monde que décrit Audiard, un monde hyper connecté où tout va très vite. Le choix du noir et blanc apporte une touche d’esthétique indéniable à ce quartier impersonnel du 13e arrondissement fait principalement de verre et de béton. « Les Olympiades » confirme également le soin qu’apporte systématiquement Jacques Audiard à la direction d’acteurs : le film révèle, entre autres, les talents de Makita Samba et de la jolie Lucie Zheng, qu’on a hâte de revoir tous les deux à l’écran, et conforte Noémie Merland dans son statut de valeur sûre du cinéma français. La mise en scène, quant à elle, donne beaucoup de naturel au film en plaçant les personnages au cœur de leur vie quotidienne, que ce soit sur leur lieu de travail, sur les bancs de la fac, en boite de nuit, au supermarché, devant leur ordinateur, en famille…
Les films de Jacques Audiard ont toujours eu le mérite de vouloir s’ancrer dans une réalité indélébile, familière au spectateur. Cet ancrage s’est néanmoins trop souvent doublé dernièrement de scènes de violence qui ôtaient à ses films leur côté naturel. Avec « Les Olympiades », Jacques Audiard délaisse le cinéma de genre, les personnages insaisissables et les univers sombres qui caractérisaient des films tels que « Sur mes lèvres », « Un prophète » ou « Deepan ». Le monde de la pornographie en ligne dans lequel évolue Amber Sweet nous replonge certes, le temps de quelques scènes, dans cette noirceur mais cette noirceur est davantage évoquée à travers les dialogues qu’elle n’est montrée à l’écran. En tout état de cause, elle ne remet pas en question le constat que l’on fait en quittant la salle : « Les Olympiades » traduisent bien le retour de Jacques Audiard au cinéma d’auteur qui avait notamment constitué la marque de fabrique de son premier film « Regarde les hommes tomber ». Pour notre plus grand bonheur.