Depuis « Regarde les hommes tomber », nous étions en droit de nous demander si le nom du célèbre réalisateur et dialoguiste, Michel, s’isolerait sur une étagère, avec le seul souvenir de son héritage, souvent aérien, parfois vulgaire. Jacques Audiard a prouvé par bien des manières, qu’il avait une fibre littéraire, qu’il met au profit de ses long-métrages. Il semble en vouloir de plus en plus et ce plus justifie la diversité des genres qu’il touche, en réaction au précédent. Lui, qui a décortiqué les motifs de cinéma américain pour se les réapproprier, comme chez Scorsese avec « Le Prophète » ou le western dans « Dheepan » et « Les Frères Sisters », il rebondit avec un délice, qui suscite autant de curiosité. Lorsqu’il annonce l’adaptation libre de certaines nouvelles d’Adrian Tomine et qu’il concentrerait son attention sur le 13ème arrondissement de Paris, c’est sans doute pour repartir sur de nouvelles bases.
Cela se ressent sur son équipe remaniée, en co-écriture, notamment du script, avec Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy, Portrait de la jeune fille en feu, Petite Maman) et Léa Mysius (Ava). Ce besoin d’un regarde neuf, change le ton de ce nouveau récit, empreint de mœurs, d’amitié et de désirs chez les trentenaires d’aujourd’hui, à l’ère du numérique. Ce sera le film le moins crasseux de la filmographie du cinéaste et pourtant, il la noirceur y tient une place singulière. L’esthétique frappe, dans un noir et blanc qui redécore un quartier que l’on voit finalement peu sur les écrans de ces dernières années. Le symbolisme des lieux donne le cachet à un certain brassage culturel et social, dont ils ne seront finalement pas le sujet. Ce n’est donc pas le titre ni le lieu indiqué qui permettront d’évaluer la pertinence de cette œuvre, mais bien ses personnages, dépassés et déterminés à embrasser cet amour, qu’ils envient tout autant qu’ils le redoutent.
C’est ici qu’Audiard se sent chez lui, c’est ici qu’il sublime ses âmes errantes, en correspondance et en attente d’un élan. L’appel du compositeur Rone ne fait que réconforter cette ambiance électrisante, révélant Lucie Zhang, dans le rôle d’une Émilie égocentrique et sans cesse étourdie par ses sentiments. Camille (Makita Samba) est un électron libre dans ses relations éphémère. Nora (Noémie Merlant) redécouvre la jeunesse et les tendresses d’une caresse. Amber Sweet (Jehnny Beth) fait tomber la caméra et un masque artificiel. Autant de portraits oniriques au premier abord, mais qui flirtent avec l’éternelle mélancolie et solitude qui s’emparent de ces personnes, à l’issue d’une dépendance sensorielle et humaine. C’est en cela que le cinéma d’Audiard se bonifie, mais il faudra un peu plus de temps avant d’atteindre la maturité souhaitée. Le cru de certains dialogues surexpose des intentions, que l’on aurait pu aborder avec plus de subtilités, sachant un virilisme sabordé et un regard féminin indéniablement renouvelé.
Le réalisateur pourrait amplement se satisfaire d’un style qui lui convienne, au nom de sa cinéphilie, mais également au nom de ses sentiments. Pourtant, il ne s’arrête pas à une influence d’Eric Rohmer (Ma nuit chez Maud), ou d’un détour chez Woody Allen et tant d’autres, pour se démarquer une nouvelle fois. Le changement, c’est le mot d’ordre qu’exploite Audiard, avec une adresse chaleureuse. Et quand bien même, il se contente de frôler sa cible, il y aura toujours du bon à en tirer. Si « Les Olympiades » ne trouve pas unanimement son public, ce dernier pourrait se laisser piéger dans de futurs projets, qui auront muri, dans une fournaise de frustrations et de désirs.