Yvan Attal n’a pas traîné pour se saisir du roman de Karine Tuil et effectuer son virage vers du cinéma plus complexe et ambigu. Il dispose d’un support de premier calibre, afin d’apporter de profondes nuances dans les conflits qui opposent, voire qui rassemblent, les arguments d’un procès préoccupant. Mais à quel point se détache-t-il de ce que l’autrice propose, à savoir une réflexion intime entre le pouvoir de séduction et le consentement, ou encore sur des banalités, qui tournent en boucle et qui priveraient le meilleur optimisme de s’épanouir. Le quotidien est gorgé d’horreur sociale et cultive une violence, gravée sur l’épiderme ou tirée d’une vulnérabilité propre à l’homme, comme à la femme. Il convient donc de rabattre les cartes et les préjugés, autour d’une convocation anonyme, où le spectateur devra s’acquitter du rôle de juré, à ne pas confondre avec bourreau.
Le duel de point de vue s’exprime dans la structure narrative, où l’on suivra ce que « lui » semble ressentir, puis la souffrance couvée par « elle », avant de converger vers le cœur de l’œuvre, à savoir un procès rigoureux. Mais ce jeu de surface possède ses limites et le film les confronte assez rapidement. Si l’ultime chapitre du tribunal sait comment jouer sur l’ambiguïté, les présentations, d’Alexandre (Ben Attal) l’accusé et de Milla (Suzanne Jouannet) la plaignante, sont assez superflus afin que l’on accepte leur vérité. Ne pas prendre position, c’est se détacher des faits, mais ceux-ci se retrouvent toutefois obsolètes pour l’un des parties. Que l’on observe avec bienveillance le comportement et les nuances des jugés, cette affaire nous emmène dans une impasse, une fosse où la sensibilité de chacun aura du poids, une conséquence et un parti-pris. Sans le vouloir, Attal dévoile le sien, dans son tout dernier plan, qui ne nous dévoilera jamais en profondeur ce qui s’est réellement passé dans ce local à poubelle, mais qui laissera le dernier mot au dernier personnage debout.
Il ne s’agit donc plus d’être manichéen, car c’est souvent ce que les accusations médiatiques donnent à voir. Il n’est pas question de sacrifier ces deux jeunes sur l’autel des réseaux sociaux, mais en arrière-plan, il y a une révolte amère, qui brise le pouvoir du patriarcat, tout comme la confiance accordée aux féministes. Ce n’est plus un récit centré sur les faits d’un seul homme, influencé par son environnement, ses fréquentations, sa consommation ou encore ses lectures. Milla fait également face au traumatisme qui la lie à sa famille et une culture plus stricte. Chacun aura son référentiel, qui ne trouvera pas nécessairement le contre-poids attendu, car le titre nous le rappelle si bien. La nature humaine évolue au gré d’oppositions, qui sont propre à soi et propre à son entourage. Entre le sentiment d’abandonner, de s’abandonner, de combler une frustration ou de maintenir une emprise mentale, voire verbale, le film n’apportera pas de bonnes nouvelles. Il se contentera d’un constat sévère, sur un rapport de force, biaisé par les désirs et les hontes de chacun.
Loin du « Brio » et de son éloquence et loin de l’affaire de famille de « Mon Chien Stupide », Attal, s’engage à confronter des plaidoiries qui se tiennent, mais qui tombent aisément dans l'écueil narratif et très explicatif. La désillusion est garnie de dénis et d’archétypes condamnables pour ce qu’ils sont, mais qui auront droit au même sursis que celles et ceux qui attendent que le couperet tombe sur l’une des têtes. Mais c’est sans la force psychologique de « La Fille au Bracelet » ou l’implacable huis-clos des « Douze Hommes En Colère » que « Les Choses Humaines » file, comme un plan-séquence d’un appartement bourgeois et manque parfois de sublimer la misérable vanité que dépeint le roman. C’est fascinant avec le recul, mais anti-productif dans sa leçon d’injustice.