D'ordinaire plutôt méfiant à l'égard des palmes d'or et de tout ce qui flirte avec le réalisme dans le cinéma, c'est du bout des doigts que j'ai lancé cette "chambre du fils", qui s'est avéré être une bonne surprise. Le scénario est assez simple mais bien soigné, et l'équilibre trouvé entre les séances de psy et les moments plus intimes donne au film un rythme agréable. Evidemment, les amateurs d'action filmée à 100 plans/minute sur une musique enlevée seront déçus. Moretti privilégie de longs plans fixes, nous plaçant à la hauteur des personnages, dans leur cercle de conversation ou à leur table, pour mieux faire entrer le spectateur parmi les leurs. Quelques touches de piano viennent ponctuer les échanges et donner un ton tantôt mélancolique, tantôt empreint d'espoir au récit. Certains diront épuré, on pourrait aussi bien parler de simplicité. La qualité de la mise en scène fait le reste. Des séquences brillamment choisies nous font comprendre l'essentiel très vite. Le trait d'humour du père, des sourires, des marques de confiance. Autant de signes qui peuvent sembler anodins, sans qu'aucun ne le soit. Cette famille de classe moyenne supérieure, dont les membres sont instruits et où règne la bonne entente, ressemble à beaucoup d'autres. Elle pourrait être la nôtre. La première demi-heure nous en fait prendre conscience, en nous mettant face à des scènes du quotidien que l'on a tous vécu. Parallèlement, on pénètre dans l'intimité de la psychothérapie, face au divan et à des patients plus obsessionnels les uns que les autres, mais qui partagent le fait d'être plus ou moins attachants. Ces séquences apportent des touches d'humour qui bien que rares procurent au spectateur un plaisir subtil, celui que l'on éprouve devant le portrait d'une connaissance un peu lointaine "c'est vrai, **** est presque comme ça".
Une fois ce décor habilement planté, le drame que constitue la mort d'Andrea n'en est que plus bouleversant. Mais Moretti ne s'y engouffre pas pour jouer abondamment sur le pathos. Le temps de deux regards et dix secondes de larmes, le choc de la nouvelle est passé, et c'est tout en pudeur qu'il nous propose la reconstruction (ou déconstruction) des personnages, Giovanni en tête. Ses silences, son refus d'évoquer l'existence d'Andréa et d'en accepter la mort contrastent avec son attitude de psychologue. Plus émotif, moins neutre, "n'arrivant plus à avoir du recul" nous dira-t-il, les séances sont tant d'occasions pour Giovanni de ressasser l'inacceptable, d'éprouver une culpabilité grandissante face à une réalité qu'il n'a pu éviter. Le patient devient le miroir, le psy devient patient. Il est mis face à ses contradictions, incapable d'appliquer à lui même les conseils qu'ils professe à longueur de journées. Pour sauver l'homme, il faut tuer le psychanalyste. Moretti nous invite à faire ce voyage avec lui, avec pudeur et sans forcer.
Le message final sera finalement assez prosaïque (pour surmonter une épreuve, il faut d'abord accepter de l'affronter), mais donné avec la distance et la poésie qui convient. Arianna, sorte de réincarnation temporaire d'Andrea, permet au couple de faire son adieu véritable à son fils, et de le prolonger autant qu'ils en ont besoin. La caméra quittant la famille au rythme de la voiture qui démarre, on laisse les trois protagonistes comme on les a laissé, sur un sourire, un rire même, et avec la sensation d'avoir vécu un bout de vie avec eux. Une vie qui, et c'est bien là l'essentiel, continue.