Jesús López : les secrets du tournage

Le réalisateur Maximiliano Schonfeld a traversé deux deuils qui lui ont inspiré Jesús López. Le premier est la mort de son père, dont les vêtements ont été ensuite portés par les compagnons successifs de sa mère : “Je n’ai jamais su si c’était pour elle une sorte de fantasme morbide ou bien si les vêtements étaient simplement là, disponibles pour être utilisés comme n’importe quel objet. Je voyais ces inconnus comme des copies ou comme différentes versions de la vie de mon père. Des pères potentiels.” Le second concerne le décès Miguel Lell, acteur de ses premiers courts-métrages, qui est mort à 21 ans dans un accident de voiture, alors qu’il se préparait à jouer dans Germania, le premier long de Schonfeld. À la demande des parents de Lell, le film a été tourné dans la ferme où il habitait. “Pour sa famille et ses amis, le film que nous tournions comblait le vide laissé par Miguel. Un acteur qui lui ressemblait beaucoup portait ses vêtements. Pendant le tournage nous étions une sorte de muletto, le mulet comme on dit dans la course automobile, un remplaçant.”

Outre le deuil, le film aborde aussi le thème de l’adolescence, comme le développe le réalisateur : “L’adolescence est une étape de recherche, une période de transition. On ne sait pas encore qui on est, ni ce qu’on voudrait devenir. On cherche des modèles, aussi bien parmi les proches que parmi des personnes inaccessibles. La mort, une idée romantique de la mort, nous tourne sans cesse autour pendant l’adolescence. Que se passe-t-il lorsqu’une tragédie nous offre la possibilité d’être un autre ? Non pas un autre qui devrait s’inventer, sinon au contraire, un autre qui n’est déjà plus là. Habiter dans une coquille vide, quelque chose comme ça, prendre la place de l’autre”.

Le film se déroule dans le cadre rural d’un hameau fondé par une colonie allemande et situé dans la province argentine d’Entre Ríos, au nord de Buenos Aires. Le réalisateur et Selva Almada, coscénariste du film, ont grandi dans des villages similaires. Ils ont tous les deux voulu retranscrire cet environnement dans le film, comme le précise le réalisateur : “C’est une région où se conjuguent encore les héritages de la dernière grande vague migratoire européenne, dans cette zone précise, celle des Allemands de la Volga. Cette communauté vit dans de petits hameaux voués à l’agriculture et à l’élevage, et conserve un mode de vie endogamique. Le système néolibéral, qui bénéficie aux producteurs les plus puissants, abandonne à leur propre sort toute une traînée de petites fermes et de granges en ruines. Cette forme de résignation se répand dans les villages”.