Le roman de l'écrivain américain contemporain Arthur Golden à propos d'une geisha japonaise des années 1930 avait déjà tout du non-sens artistique. Comment un homme pourrait-il saisir les errements intimes d'une femme avec précision quand ces errements sont si liés à un rapport à la chair qu'un homme ne connaîtra jamais, a fortiori quand cette femme vient d'une époque et d'une culture étrangère à la sienne ? D'ailleurs, si on pourrait rétorquer que "Geisha" fut écrit à partir du témoignage d'une réelle geiko, celle-ci préféra réécrire ses mémoires pour sanctionner les infidélités de Golden vis à vis de la réalité de sa profession. Voilà qui en dit long sur l'incohérence du projet, ou plutôt sur sa vocation purement occidentale, les lecteurs américains l'ayant d'ailleurs consacré en best-seller. Nécessairement, devait donc suivre une adaptation, mais même le nom du grand Spielberg, qui s'intéressa au sujet avant de laisser la réalisation à son ami Rob Marshall, ne pouvait totalement rallumer la flamme. Le pire est que le film creuse encore la tombe déjà bien déblayée par le roman en castant trois actrices chinoises dans les rôles principaux, ce qui lui vaudra la censure pure et simple en Chine et un boy-cott général dans les salles nippones. Heureusement, je ne connais pas suffisamment les cultures orientales pour en avoir été dégoûté, et les trois noms choisis ont la chance de désigner trois actrices talentueuses et d'une sensualité débordante (Gong Li, Michelle Yeoh, et surtout Zhang Ziyi, ensorcelante). Malheureusement, on sent malgré tout le côté bâtard de cette oeuvre qui manque de pureté véritable, d'aisance et de précision au moment de décanter la substance émotionnelle du sujet. Certes, l'amour est un sentiment universel, mais alors pourquoi choisir pour son étude un sujet si ancré dans un mode de vie spécifique ? Ou plutôt, pourquoi ne pas laisser le faire ceux qui ont en main toutes les données de l'algorithme, toutes les pièces du puzzle, toute la sensibilité d'esprit dessinée pour s'approprier le propos ? Voilà ce que je regrette quelque peu, ne pas avoir vu un réalisateur japonais s'emparer de ce thème. D'autant plus que le cinéma américain, en constante recherche d'ampleur, ne semble pas miscible de façon évidente avec la retenue et l'étiquette propre aux cultures sino-japonaises. Certes, ça marchait dans Le dernier samouraï, encore aujourd'hui mon film préféré (oui oui !) mais surtout parce que la raison d'être du film de Zwick se trouvait justement être la découverte de l'univers des samouraïs par un occidental. Ici, on aurait au moins pu espérer que le sens du romanesque d'Hollywood compense cette balle tirée dans le pied. C'est le cas, mais pas totalement, car le souffle si bien développé par le cinéma d'outre-atlantique ne peut prendre à cent pour cent sur cette histoire un peu lisse, dont on sent que les thèmes, pas vraiment maîtrisés, ne peuvent être creusés davantage. Bien sûr, la beauté plastique de Memoirs of a Geisha ne laisse pas place au doute (trois oscars à la clé, quand même !), mais l'achèvement photographique du produit manque lui aussi d'une vraie raison d'être, d'une substance sur laquelle se poser. Les rues de Kyoto, rendues plaisantes, oniriques, ne semblent pourtant que servir d'accroche aux yeux du spectateur occidental. Si je ne nuançais pas mon constat, je vous dirais ceci : Memoirs of a geisha est un joli tableau ; soulevez-le et il n'y a rien. Mais monsieur Rob Marshall, ceci n'est pas de la peinture, c'est du cinéma. Un peu creux, pas assez brut, trop poli et trop mensonger, Memoirs of a geisha manque aussi de mystère. Mais il reste, en dépit de ces nombreux reproches, un divertissement qui jouit de la maîtrise d'une industrie rodée comme pas deux, ainsi que du talent de ses actrices et quelques grammes de beauté évanescente. Des mémoires quand même pas tout à fait mémorables (cette conclusion non plus, je sais).