La Voix d'Aida trouve son origine dans un fait historique des plus tragiques datant de 1995, le massacre systématique de plus de 8000 habitants de Srebrenica, ville située à l'est du pays, à la fin de la guerre de Bosnie (1992-1995). La réalisatrice Jasmila Žbanić explique :
"Pendant le conflit, Srebrenica a été déclarée par l'ONU "zone de sécurité" pour les civils et les habitants. Pourtant, quand les forces bosno-serbes ont envahi la ville en juillet 1995, les Casques bleus, désarmés, qui avaient sollicité le soutien de l'ONU à New York ont été totalement livrés à eux-mêmes avec la population. Le sentiment de sécurité et la confiance dans des institutions comme l'ONU ont été réduits à néant, des milliers de gens sont morts et bien plus encore les ont pleurés. À titre personnel, Srebrenica occupe une place particulière, parce que j'ai survécu au siège de Sarajevo et qu'on aurait facilement pu finir comme Srebrenica. Je m'étais toujours dit qu'il faudrait faire un film à partir de qui s'était passé, mais je n'avais jamais imaginé que ce serait moi !"
Pour écrire son scénario, Jasmila Žbanić a bien sûr beaucoup lu sur le sujet et a aussi écouté les témoignages de plusieurs femmes qui lui ont, entre autres, parlé de leurs fils, maris, frères où pères abandonnés par l'ONU et capturés par l'armée bosno-serbe. La cinéaste précise :
"J'étais consciente qu'il était impossible de restituer le moindre aspect de cette réalité historique. Il fallait que je fasse des choix. Et il a donc fallu que j'invente pas mal de choses car le cinéma possède ses propres règles. Par exemple, dans la réalité, le commandant néerlandais de l'ONU a eu plusieurs rendez-vous avec le général bosno-serbe Mladic à l'hôtel Fontana pour négocier le sort de la ville. Il existe des vidéos de ces rencontres sur le net. Mais cela n'aurait pas fonctionné en plusieurs scènes, si bien que j'ai choisi de n'en faire qu'une seule séquence. J'ai dû ajouter une dose de fiction à certains éléments, et inventer des personnages. L'ouvrage de Hasan Nuhanovic, Under the UN Flag, dont l'histoire a inspiré le film, m'a été d'une aide précieuse."
"Elle est entre deux mondes : elle est bosniaque, et ses proches sont dans la même situation que les 30 000 habitants de Srebrenica, mais elle travaille pour l'ONU, si bien que sa position est ambiguë. Elle croit en l'ONU. Elle croit que sa famille sera en sécurité sur une base de l'ONU, et qu'elle bénéficie de certains privilèges parce qu'elle travaille pour l'ONU. Le film évoque son parcours dès lors que tout s'effondre autour d'elle."
Jasmila Žbanić avait déjà dirigé Jasna Đuričić, la comédienne principale de La Voix d'Aida, dans Les Femmes de Visegrad (2014). "Après les lectures et les répétitions, où nous avons évoqué toutes les situations, nous avons beaucoup improvisé. Par exemple, c'est le cas de l'histoire de sa famille : les circonstances de sa rencontre avec son mari, de leur mariage, de la scolarité de leurs enfants... tout ce qui précède le début du film. Nous avons répété dans l'appartement où nous avons tourné par la suite. Rien de tout cela ne figurait dans le scénario, mais c'était important pour les acteurs et moi-même de bien cerner le passé des personnages et d'enrichir le film de leurs trajectoires, même si elles ne sont pas évoquées à l'image", se rappelle la réalisatrice.
Les scènes de la base de l'ONU ont été tournées dans un décor qui a été construit pour les besoins du film. Jasmila Žbanić se souvient : "Il y avait déjà une grande salle, mais nous avons dû l'aménager en fonction de l'atmosphère qu'on souhaitait qu'elle dégage. Il fallait que cet espace se trouve au milieu de nulle part, et il nous fallait un vaste terrain où les gens pouvaient se masser, avec une route pouvant les mener vers la vie ou la mort. Étonnamment, il s'est avéré très difficile de trouver un site qui nous convienne en Bosnie, alors même qu'il y a tant d'usines désaffectées. Nous avons déniché l'endroit idéal dans un ancien camp de concentration qui avait servi pendant la guerre, si bien qu'on ne pouvait pas y tourner."
La plupart des films de Jasmila Žbanić se déroulent après la guerre de Bosnie et racontent à quel point le présent est marqué par le passé. La Voix d'Aida se différencie toutefois de par le fait qu'il s'agit du premier long métrage de la cinéaste où l'on voit des chars, des fusils ou encore des soldats. Elle explique :
"Je pense que toutes les guerres ne sont que des espaces où s'épanouissent les sociopathes et les psychopathes. Au moment même où nous sommes en train de parler, certains s'enrichissent considérablement sur le dos des guerres. En réalité, une poignée s'enrichissent et des millions de gens souffrent. Le film témoigne de la structure patriarcale et bureaucratique de la guerre. Ceux qui sont responsables – les détenteurs du pouvoir – sont toujours éloignés du théâtre des opérations. Le film montre cette femme piégée dans le labyrinthe de ce système et de ses conséquences."