Un film enthousiasmant (primé à la Mostra de Venise) dans un noir et blanc d'époque.... qui nous donne souvent l'impression d'être dans un documentaire. Un film sur les horreurs du communisme soviétique -le massacre de Novotcherkassk, en 1962- , et en même temps.... un film actuel autour d'un personnage fascinant, un film qui nous fait rentrer au plus profond de la foi.... ou du fanatisme. Car Liouda (Ioulia Vyssotskaïa) croit au communisme comme Thérèse de Lisieux à la sainte Vierge. Membre du comité municipal, (et maitresse occasionnelle du président de ce comité) elle n'a qu'un regret: que Krouchtchev ait critiqué Staline. Et qu'il ait fait libérer quelques koulaks et autres prisonniers politiques! Etre un dirigeant du parti a, entre parenthèses, certains avantages. Pendant que le peuple se bat pour obtenir un oeuf, Liouda est servie largement à l'arrière de l'épicerie, et elle dispose d'un appartement apparemment assez spacieux.
Ca se passe dans le Caucase, le pays des cosaques du Don, une région où les habitants seraient peut être moins dociles que dans la Russie profonde? Le gouvernement ne cesse de faire augmenter le prix des denrées de base, le lait, le kéfir.... et quand le directeur de l'usine de construction ferroviaire, une usine d'intérêt national, décide de baisser le salaire des ouvriers, ils se mettent en grève, marchent sur le comité, balancent quelques pierres dans les vitres, terrorisant le président du comité régional venu rétablir l'ordre (i.e, créer le désordre par ses vociférations déplacées)
Tout le monde débarque dans la petite ville, représentants du Comité Central, du KGB, de l'armée. La ville est bouclée. Chacun doit signer une promesse de confidentialité. Personne à l'extérieur ne doit savoir! Il ne manquerait plus que la rébellion se propage à d'autres usines, à d'autres villes. Les réunions s'enchainent. Les hauts gradés, au milieu de l'estrade, pratiquent la langue de bois. On sent, cependant, un certain flottement. Certains veulent une répression dure mais d'autres, moins écoutés, suggèrent de temporiser. Le général qui dirige les opérations est pour charger les armes... avec des munitions à blanc mais il se faire sèchement remettre à sa place. On s'y croit! On est dedans! C'est parfois confus mais jamais rasoir.
Et Liouda? Elle bout. Elle n'y tient plus, elle prend la parole: ce ne sont pas des ouvriers. Les ouvriers russes croient à l'avenir du communisme, au travail bien fait; les meneurs sont des repris de justice; de ces opposants malencontreusement libérés. Pour ceux là, il faut la peine de mort, sans hésitation.
Finalement c'est bien la méthode dure qui est employée, sans qu'on sache très bien qui a donné l'ordre de tirer, il y a plusieurs dizaines de morts, dont certains sont évacués discrètement hors de la ville. Quand Liouda rentre chez elle (persuadée que ce n'est pas l'armée qui a tiré, mais des snipers anti-communistes.... et que si Staline était encore vivant, rien ne se serait passé comme ça) elle retrouve son vieux père (Sergeï Erlish), qui a ressorti sa tenue (interdite) de cosaque et une icone ancienne de Notre Dame de Kazan... mais pas sa jeune fille Svetka (Yulia Burova), qui était à la manifestation. Liouda est maintenant une mère folle d'inquiétude, qui court partout, y compris à la morgue, pour retrouver -sans succès- sa fille (peut être morte, mais peut être aussi arrêtée), avec l'aide inattendue d'un responsable du KGB -c'est encore une jolie femme.... Moment de vérité, quand au point d'aller débiter son discours de répression devant les différents dignitaires, elle s'enfuit pour se réfugier aux toilettes, prier un Dieu auquel elle est censée ne pas croire.
Liouda est une personnage fascinant, qui porte en elle tous les sectarismes, elle est scientologue, elle est islamiste.... elle est tous ceux là, qu'une idéologie porte et fait vivre.
Le passionnant film d'Andrei Konchalovski, un jeunot de 84 printemps, est tout simplement indispensable. A voir absolument