Près de six mois après « Matrix Reloaded », les frères Wachowski bouclent leur tournée matricielle sur la promesse d’un souffle épique, attendu et convenu. Là où le volet précédent s’amusait à balader le spectateur dans l’inconfort narratif et le réconfort visuel, cette conclusion reste néanmoins attendu, au vu des ouvertures mises en place. Néo a choisi la porte de l’humanité et l’architecte s’en frotte les mains, pour des raisons qui seront grossièrement illustrées ici. C’est d’ailleurs le même choix des auteurs, qui préfèrent mettre en avant les êtres de chair, dans un élan formel de baroud d’honneur. Ce qui pouvait encore susciter l’extase, le désir ou des émotions plus primaires dans les deux films précédents se dispersent, quelque part entre la surface, dominé par les machines, et les souterrains, dominé par le doute.
Pourtant, avant d’entamer les hostilités, on apprend assez rapidement que l’expérience sensorielle nous arrivera par bride, pourvu qu’elle nous transperce ou qu’elle nous aveugle de sa sincérité. Mais ce n’est pas avec une structure narrative, qui superpose maladroitement ses arguments, que l’on va nous convaincre. Évidemment que l’on restera cohérent et dans la lignée de Reloaded, mais à quel prix ? Celui d’une tragédie qui doit à présent trouver son crucifix, car ce sera bien l’âme de la saga qui se joue dans « Matrix Revolutions ». Un bref retour vers un Lambert Wilson et l’Oracle (Mary Alice) viendra contextualiser le tout, sans briller dans des réflexions ou bouleversements, dont on nous a habitué. Et alors que tout le monde prendra des chemins différents pour respecter ses croyances, l’unité auparavant vendue n’est plus qu’une façade, appuyer par des répliques surexplicatives qui sonnent creux.
Cela pourra et devra forcément en déplaire plus d’un, mais la question qui se pose ensuite, c’est comment achever l’ascension de la matrice. Par l’ego de l’agent Smith (Hugo Weaving), sans doute. Lui, qui se libère peu à peu de l’emprise des lignes de codes, finit par corrompre son cœur avec des sentiments humains qu’il découvre à peine, dans la rage de vaincre, dans la rage de conquérir et dans la rage d’anéantir. L’antagoniste en arrive à croiser le fer avec l’absurde, mais ce sera tout de même sur l’élu qu’il aura l’honneur de se défouler une dernière fois, sous une pluie diluvienne, au pied d’un colisée bâti sur ses propres clones. En soi, cet affrontement récupère la charge émotionnelle de tout ce qui a été vu précédemment, mais toujours avec un pas de côté, comme si l’on ne pouvait prétendre participer à cette lutte morale. Comme tous les Smith, qui observent la fureur des coups s’abattent entre ciel et terre, nous restons sur tout aussi stupéfait de la dimension épique qui s’évanouit depuis notre siège.
Et lorsque l’on prend le temps de bien remettre les choses à leur place, le conflit entre le réel et le virtuel entrent en symbiose, le temps d’un dernier acte qui accentue chaque étape d’une prophétie, nécessitant ses martyrs et ses sacrifices. Jusqu’au dernier plan, il sera permis de croire en la bonne volonté des Wachowski pour ne pas nous faciliter la compréhension de l’univers, ne serait-ce que dans les ultimes minutes. Alors oui, cet épisode ne sera pas le plus passionnant à suivre, car il aura plus à prouver qu’à prendre le temps de nous envoûter, mais avec quelques graines de nihilisme et en oubliant que l’IA puisse avoir un visage, on se surprend encore à ressasser la complexité d’un monde qui retourne en mode veille… pour mieux se reconstruire ?