Toujours dans les esprits et dorénavant dans le panthéon de la science-fiction, le « Matrix » des Wachowski continue d’inspirer et laisse entrevoir de plus profondes réflexions sur l’univers alternatif que l’humanité partage avec sa création intelligente et autonome. Précédé de neuf courts segments que composent le film d’animation « Animatrix », les auteurs continuent de pousser les curseurs graphiques tellement loin, que l’on arrive à saturation. Malgré le gonflement du budget et les améliorations techniques, c’est dans sa narration que l’on pêche énormément, au risque de laisse un arrière-goût artificiel. C’est le cas dans la mesure où l’on sait que la production s’étirait de plus en plus et que les deux derniers volets d’une trilogie se voulaient exigeant pour une année 2003 qui n’appartient qu’aux cinéastes.
Ils ont donné rendez-vous sur la croisette et la surprise était de la partie, mais c’est dans un but précis, qui a pris à contrepied tous les adeptes d’un premier opus plus équilibré et plus fluide dans sa construction et sa dilution philosophique dans le récit. Ici, nous avons à faire à un autre genre de plaisir, celui qui berce à même la rétine. Une mise à jour s’est faite en cours de route, mais nous retrouvons bien Néo (Keanu Reeves), Morpheus (Laurence Fishburne) et leur groupe de résistants dans une quête de libération totale. La guerre est aux portes de Zion et de ces derniers humains, qui prennent le temps de festoyer avant la tempête. C’est un point essentiel qui reviendra dans ce film, car malgré les précédentes révélations, notre élu cherche encore ses repères, sa vérité qui le préoccupent, celle qui le lie à sa prophétie et à la vision dramatique sur sa Trinity (Carrie-Anne Moss). Les Wachowski nous catapultent d’entrée avec des scènes invoquant le plaisir de la chair, des sensations qui dissocient inévitablement l’humanité des machines. On nous questionne ainsi sur cette part de libre-arbitre, qui est contrôlé par la foi, les émotions et la matrice.
S’il y aurait finalement peu d’enjeux pour l’instant, c’est que cet épisode ne débouche sur pas une conclusion. Cette intrigue, à l’image du maître des clés très convoité, on ouvre successivement des portes sans prendre le temps de développer le mythe qui a été mis en place. En outre, ce film de transition dépend nécessairement du prochain. Préciser que « Matrix : Reloaded » a tout d’une euphorie serait la plus sage des comparaisons, tant il se satisfait d’une dynamique visuellement forte, mais qui ne laisse plus rien à croquer derrière. L’action bat son plein et on sera généreusement servi dans une logique épique, où des clones confrontent un seul individu, avant que l’on s’engage sur une autoroute d’adrénaline. Cela fonctionne, mais uniquement dans ces moments, qui ont plus à montrer qu’à raconter, car la déconstruction de l’univers démarre déjà dans une grande confusion.
Ce que nous sommes venus chercher dans ce film ne sera qu’une illusion, orchestrée par des Wachowski plus malins, mais moins incisifs qu’auparavant. Cette frustration qui divise est au centre des conflits de Néo, dès lors qu’il consulte l’oracle (Gloria Foster) ou un Mérovingien cocu (Lambert Wilson). On y raconte comment nous sommes tiraillés par la déception ou la peur de l’échec, qui ne s’évitent pas aussi bien que des balles. L’approche se veut toutefois aérienne et explosif, sans que l’on puisse entièrement s’investir dans une croisade, que l’on retiendra plus bavarde et peu intuitive. Reste à savoir si la conclusion saura assembler correctement les pièces, dont le filigrane de la subtilité commence à montrer ses fêlures.