Les bases étant établies désormais, la matrice connue, ses fondements, ses mécanismes assimilés, maintenant place au spectacle ! Amateurs de science-fiction, tenez vous prêts à savourer cette petite merveille visuelle. Toujours à travers son filtre verdâtre singulier, l'image nous est sublimée avec une nouvelle démonstration encore plus remarquée des innovations de tournage qui avaient tant fait la réputation du premier "Matrix".
Dans cette lignée, le bullet time passe à un niveau supérieur de maîtrise. Sous un fond musical caractéristique, couplé aux costumes ou effets spéciaux qui vont bien, il est utilisé à bon escient pour en exploiter tout le potentiel. Un pur régal sur les scènes d'actions ! Il surgit à point nommé pour calmer un rythme en voie de devenir ennuyeux à s'éterniser dans un tempo trop continuellement effréné, ou bien accentuer l'acuité d'un événement trop spectaculaire pour n'être visualisé que sous un seul angle, dans un lapse de temps normalement insuffisant pour en apprécier toute la profondeur. Enfin, que l'on soit adepte ou pas de scènes de combat, impossible de rester insensible à l'orchestration et aux effets de celles présentes ici, dont seule la franchise a le secret et qui en font son cachet devenu aujourd'hui légendaire. Cadencées avec une précision chirurgicale, chorégraphiées selon des mouvements mêlant grâce et modernité, elles sont fascinantes et distrayantes à la fois, en un mot, c'est de l'art. Ce film, conjugué à son aïeul, ouvrent sans conteste une nouvelle ère dans la maitrise de la caméra, en particulier à travers sa gestion du bullet time, se positionnant ainsi comme le précurseur le plus éloquent en la matière.
Le plus rassurant est que "Matrix : Reloaded" ne se contente pas que de cette performance. Beaucoup plus ambitieux, il ne s'arrête pas à ces prouesses techniques mais nous offre une histoire crédible, une suite tangible au premier, puis surtout des dialogues d'exception ! Que ce soit l'Oracle, le Mérovingien, l'agent Smith ou l'Architecte
-dont cette scène magistrale avec les écrans autour représentants chacun une des réactions envisageables de Neo restera dans les annales-
, pour ne citer qu'eux, chacun a son mot à dire sur un sujet autour de l'homme, sa condition, sa complexité, chacun a ses réflexions à faire autour de sujets encore plus abstraits comme le destin, le choix, le libre arbitre, la vérité. Chaque phrase est travaillée avec le plus grand soin dans sa construction, préparant la prochaine avec élégance, pour interpeler tout en construisant brique par brique la logique d'un raisonnement qui ne fournit pas forcément toutes les réponses, mais pousse notre intellect à une profonde réflexion. Rien que pour cette raison, ce film, au même tire que le premier, nécessitent non pas un ou deux, mais plusieurs visionnages pour parvenir à en apprécier tout le contenu. Tout cinéphile, tout esprit philosophe, devrait prendre le temps de les voir et revoir, d'en analyser tout ce qui est dit car c'est d'une richesse qu'on ne voit pas souvent à l'écran, encore plus rarement à ce degré de pertinence.
Après, il y a malgré tout quelques fausses notes, et non des moindres. Grosse interrogation sur
cette affreuse scène, digne d'un film de série B bas de gamme, où des milliers d'habitants de Zion d'un air -indûment- primitif, étrangement dénudés, dansent excités par les battement de tambours comme des sauvages, se collant et se frottant les uns aux autres en public. Que s'est-il passé ? Les frères Wachowski ont-ils voulu donner un coup de main à un réalisateur stagiaire en le laissant diriger cette partie ? Sinon, étant donné que c'est forcément bien d'eux dont il s'agit, à quoi rimait cette orgie géante, que dis-je, gargantuesque ? Désolant, si ce n'est consternant, de voir une œuvre aussi extraordinaire, dont l'image a été aussi impeccablement travaillée, lourdement entachée par ce passage hideux. Quelques regrets aussi concernant
les deux jumeaux albinos, qui n'apparaissent que très tard puis disparaissent bien trop tôt. Le look et le potentiel de ce duo étaient si plaisants à apprécier qu'il aurait mérité de réapparaitre plus souvent. Mais de toutes ces maladresses, le faux pas de trop aura sans doute été celui d'introduire
à la fin du film le nouveau super-pouvoir de Neo, celui de désactiver les sentinelles à distance en tendant simplement son bras vers eux. Dans la matrice des énormités de ce type sont permises, ça ne surprends même plus. Puisqu'on y a été préparé dès le départ, on sait que ce n'est que du code informatique, qu'il y a toujours moyen de trouver une explication plausible. Mais là, de retour à la réalité, le seuil de tolérance n'est plus le même, il n'y a plus matière à interpréter le surnaturel. Peut-être y avait-il besoin de
cette chute inattendue pour préparer le prochain épisode, là où tout serait expliqué, mais il y a fort à douter qu'une quelconque réponse dans l'expectative puisse rattraper le coup en justifiant avec conviction cette aberration grotesque.
En tant que successeur d'un Matrix au scénario époustouflant, l'enjeu était de savoir si "Reloaded" allait parvenir à dresser la barre suffisamment haut. Finalement, cette suite convainc en reprenant ses codes à merveille, arrive même à s'en distinguer en tant que version novatrice et graphiquement améliorée, et ce, malgré ses quelques anomalies incontrôlées, lesquelles, espérons-le, trouveront un exil lors de la programmation de l'épisode final de la trilogie.