C’est un beau film que ces « Filles d’Olfa », film surprenant dans sa forme…, un documentaire aux allures de fiction que l’on doit à la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, à partir d’une histoire vrai, celle d’Olfa Chkhaoui , mère élevant seule ses quatre filles, qui a vu ses deux ainées ( Rahna et Ghofrane) rejoindre Daech en Libye…Dès le début du film, on apprend que deux actrices professionnelles (Nour Karoui et Ichraq Matar ) seront chargées de jouer les rôles de Rahma et Ghofrane au côté des deux benjamines Tayssir et Eya, jouant leur propre rôle et qu’une autre actrice professionnelle, Hend Sabri, une actrice de grande réputation en Tunisie, sera chargée de remplacer Olga dans les scènes difficiles à vivre….Le film était en compétition au dernier Festival de Cannes, premier film tunisien en compétition depuis 53 ans ! Il a obtenu L’œil d’or du meilleur documentaire parmi tous les documentaires des diverses sélections…même si au début du film, Hend Sabri, exprime son angoisse de jouer à coté de celle qu’elle est censée incarner, on oublie vite qui est comédienne, qui joue son propre rôle…et le film devient vite prenant… Kaouther Ben Hania a deviné qu’elle ne pourrait amener Olfa, Tayssir et Eya à se confier qu’en les immergeant dans ce drôle de laboratoire de recréation qu’est la préparation d’un film. Et d’emblée, Olfa joue le jeu à un point affolant, riant comme une gamine des horreurs qu’elle vécut en tant que jeune mariée et de la violence qu’elle déploya pour lutter contre un devoir conjugal qui s’apparentait à un viol…. Et cette mère qui en élevant seule ses filles avec l’angoisse qu’elles deviennent prostituées les a entourées d’un amour certes absolu mais si possessif qu’il flirte plus souvent qu’à son tour avec une certaine violence morale et même physique. Et ces hommes qui traversent sa vie (interprété par un seul acteur - Majd Mastoura-, géniale idée qui témoigne du côté interchangeable de ceux-ci) et les violences bien physiques, elles, que certains ont fait subir à ses enfants dans le secret d’une chambre…Le cinéaste filme la rencontre de ces trois nouvelles femmes avec la vraie Olfa et ses deux cadettes, ainsi que leur travail collectif : un travail d’interprétation et de mémoire, alternant des scènes de reconstitution fictionnalisée laissant place aux souvenirs familiaux et entretiens face caméra où ces femmes en miroir échangent leurs souvenirs et impressions…, C’est un documentaire aux sujets graves mais porté par une chaleur humaine contagieuse. Les actrices et leurs modèles rient et pleurent ensemble, souvent au cours de la même discussion et c’est justement cette ambivalence, ce va-et-vient chaotique entre une lucidité bienveillante et une violence inexplicable qui rend ce documentaire si attachant et singulier. En recomposant des scènes de son passé, la famille cherche à combler une béance, à convoquer une catharsis dont la portée thérapeutique est d’ailleurs assumée dans quelques passages-chocs. « Les filles d’Olfa » est un film très intense, qui peut être parfois très drôle, interprété par de magnifiques véritables personnages de la vraie vie et des interprètes professionnels de grand talent. A voir…