Une des sensations de la Croisette 2023 reste bien le documentaire – je reviendrai sur cette appellation -, de la tunisienne Kaouther Ben Hania, qui est arrivé sur nos écrans tout auréolé des ses 4 accessits cannois, L’Œil d’or, le Prix de la Citoyenneté, le Prix du Cinéma positif, ainsi qu’une mention du Prix François-Chalais récompensant un film voué aux valeurs du journalisme. La vie d'Olfa, Tunisienne et mère de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés. Une œuvre bouleversante, d’une sensibilité folle et illuminée par un procédé mêlant fiction et réalité. Même si cette innovation rend parfois la compréhension du film et de ses intentions, ces 110 minutes sont un témoignage rare sur les ravages de l’islamisme radical.
Au centre de ce récit, une mère avec toutes ses contradictions, ses ambiguïtés, ses zones d’ombre. Son histoire est complexe et donc par instant difficile à suivre perdus que nous sommes dans les différents épisodes, les rebondissements perpétuels des histoires mêlées de cette mère et des ses 4 filles et surtout devant les motivations profondes, souvent délicat à partager pour nous autres, hommes occidentaux. L’important, ici, est de nous montrer 5 femmes loin d’être sans reproches et toutes victimes à leur manière. La gageure pour la réalisatrice était de raconter l’absence. Comment réussir à convoquer ce qui a eu lieu et qui n’est plus là ? Comment affronter la vérité de son propre passé des années après ? Le piège eut été de faire de la mère une sorte d’« héroïne », ce qu’elle n’est pas du tout, même si son récit est poignant. Le choix d’un huis clos plus qu’étouffant apporte beaucoup évitant ainsi toute dispersion de nos attentions… Au point que les quelques rôles masculins sont tous tenus par le même comédien. D’ailleurs, ce qui est frappant dans la vie d’Olfa et de sa famille, c’est l’absence des hommes. Dès qu’un homme entre dans leur existence, elles le virent d’une manière ou d’une autre. La caméra est sans cesse au plus près des visages et des peaux de ces 5 femmes, et nous fait pénétrer au plus intime de ce drame qui apporte une pierre essentielle au jugement que l’on peut avoir de l’Etat Islamique, du radicalisme dogmatique et de ses méfaits. Un film singulier d’intérêt public.
Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Eya Chikahoui, Tayssir Chikahoui, Nour Karoui, Ishrak Matar, font de cette expérience cinématographique une sorte de choc cathartique qui remue les consciences. Ce docu-récit, entre silences coupables et non-dits douloureux, offre un regard intime sur un cercle de violence infernal, souligné avec une belle discrétion par la musique d’Amine Bouhafa. D’une croyance absolue dans le pouvoir du cinéma.