« Incroyable mais vrai », Quentin Dupieux enchaîne les films sans jamais décevoir dans un registre dont il est aujourd’hui en France quasiment le seul dépositaire. Celui de l’humour nonsensique teinté de fantastique qui en sous-texte dresse un constat lucide et assez déconcertant voire déprimant de la présence humaine sur Terre. Depuis « Rubber » (2010), son deuxième long métrage américain, qui voyait un pneu s’animer après avoir été abandonné comme tous ses congénères dans une décharge après de bons et loyaux services à rouler sur l’asphalte brûlant du désert californien et devenir un tueur en série pour finir par lever une petite armée de pneus en colère se dirigeant sur Hollywood, Quentin Dupieux, derrière son humour potache souvent lunaire, interroge l’homme sur ses contradictions consubstantielles aux conséquences gravissimes qui s’il n’y prend garde le mèneront dans une impasse tragique sur laquelle il semble malheureusement déjà bien engagé. « Incroyable mais vrai » qui lui permet de retrouver Alain Chabat, déjà présent sur le très jouissif « Réalité » (2015), accompagné de Léa Drucker, Benoît Magimel et Anaïs Démoustier, s’avère en surplomb de son postulat de départ complétement déjanté, être un cri d’alarme invitant l’homme à renoncer à sa volonté insatiable de vouloir dépasser sa condition de mortel.
Un simple trou dans la cave d’un pavillon de banlieue qui débouche sur l’étage supérieur dont on sort rajeuni de trois jours à chaque fois qu’on y descend (ou qu’on y monte !!!) ajouté à une verge électronique made in Japon permettant à son propriétaire mais aussi à son épouse d’en avoir le contrôle total via son iPhone
sont les deux arguments massue savamment et drolatiquement développés qui devraient guérir tout spectateur raisonnable du fantasme de vie éternelle et autres délires de transhumanisme conduisant à l’avènement de « homme augmenté ». Le cinéma de Dupieux sans que son auteur l’affiche clairement, s’abritant derrière la façade très séduisante d’un divertissement de haute volée est en réalité très engagé dans l’accomplissement souhaitable d’une véritable écologie, celle dont on parle mais dont personne ne veut vraiment s’occuper. Mais il est aussi celui d’un formidable raconteur d’histoires à dormir debout qui emmène ceux qui veulent s’y laisser prendre très loin dans l’absurde. Un cinéma qui mise beaucoup sur les dialogues et donc sur les acteurs. Ceux-ci d’ailleurs ne s’y trompent pas qui se précipitent devant la caméra de Dupieux pour échapper un court instant à l’indigence des scénarios actuels, contaminés par le virus Woke qui s’agrippe à tous les genres pour répandre une idéologie qui à l’insu de ceux qui la développent aura des effets dévastateurs et contraires à ce qu’ils croient défendre. Ce sur quoi le cinéma de Quentin Dupieux et de quelques rares autres, met le doigt. « Là où ça fait mal ». Il faudrait sans doute plus de Quentin Dupieux, d‘Albert Dupontel (un peu assagi ces derniers temps), de Benoît Délépine et de Gustave Kerven pour tenter de réveiller un peu les consciences chloroformées au consumérisme. En attendant ce grand jour qui n’est pas encore arrivé, quel plaisir indicible de voir Alain Chabat ébahi devant sa femme (Léa Drucker géniale), tout d’abord rétive,
descendre dans ce trou sans fond pour tenter l’impossible pari, à coup de trois jours en moins tous les jours, de redevenir une jeune fille (Roxanne Arnal) s’accomplissant dans une carrière de mannequin internationale
. De son côté Benoît Magimel est proprement délirant en petit chef d’entreprise beauf tombé à pieds joints dans tous les pièges que le modernisme devenu fou lui tend, l’obligeant à aller au Japon au moindre défaut de son formidable engin. On ne peut conclure cette critique sans évoquer Stéphane Pezerat , acteur jusqu’alors inconnu qui est tout simplement sublime en agent immobilier vantant son pavillon de rêve au couple formé par Alain Chabat et Léa Drucker. Bravo l’artiste ! Et bonne pioche pour Quentin Dupieux qui ne doit surtout rien changer à sa façon de faire si intelligemment n’importe quoi. Ou plutôt si, faire travailler prochainement l’acteur Albert Dupontel pour lui redonner un peu de son insolence passablement affadie depuis « Au revoir là-haut » (2017).