Tout est dans le titre, au sens propre, et la réalisatrice Sandrine Kiberlain ne le cachera pas. Nous étions habitués de la retrouver de l’autre côté de la caméra, évidemment aux côtés de Vincent Lindon. Et comme sa fille, Suzanne, elle prend pied dans cet univers de création et de compositions, afin de nourrir davantage un imaginaire sur la vie d’une jeune fille à Paris. Quant à son contexte, nous la comprenons par réflexe, dès que le champ lexical de l’Occupation nous trotte dans la tête. C’est alors que l’on ne peut s’empêcher de repenser au journal d’Anne Frank et à celui d’Hélène Berr, pour un regard délocalisé sur une des plus grandes capitales de l’Art. Ce n’est donc pas une surprise de voir des personnages tournés autour de cette passion, dont l’enjeu reste cette connexion et cette communication qui les rendent aussi dynamiques et chaleureux.
L’intelligence de la cinéaste réside sans doute dans sa mise en scène, obstruant constamment la vision périphérique des personnages, mais également du spectateur, qui cherche forcément à poser un repère sur la vie d’Irère. Sa passion pour le théâtre l’habite et la consume à la fois, comme le montrent si bien ses évanouissements soudains. Mais cette maladie et cette réalité, elle la confronte avec un zèle qu’on ne peut que cautionner, faute de ne pouvoir s’investir davantage dans une aventure qui commence à peine. Et c’est justement dans cette ascension vertigineuse que l’on tirera parti de cette fougue adolescente, qui laisse son empreinte sur scène, chez soi et dans le cœur de ceux pour qui ça a compté. Rebecca Marder, dès lors pensionnaire de la Comédie-Française, nous bluffe par sa touchante maladresse et par sa démarche qui en aurait déjà condamné plus d’une à chuter une bonne fois pour toutes. Elle est un symbole d’apprentissage pur, que ce soit dans les gestes quotidiens ou dans l’émotion qu’elle canalise pour son avenir.
Cela restera de l’ordre du hors-champ, tout comme la menace qui pèse sur elle et sa famille, estampillées par un gouvernement facilitant, mais pas toujours absent de l’écran. Tout cela découle d’une suggestion du vide et de la peur de ce vide, qui mute dans les yeux de son entourage, alors qu’Irène ne se décourage pas et trouve la force de se relever à chaque fois et de continuer à espérer, jusqu’à ce qu’elle trouve l’évidence de l’amour. Ce n’est pas forcément une formule qui réussit à son frère aîné, incarné par un Anthony Bajon méticuleux lorsqu’il travaille, mais ivre de ses pulsions lorsqu’il se laisse submerger. De même, nous aurons droit à une opposition justifiée entre le père (André Marcon) et la grand-mère (Françoise Widhoff), pour qui la fuite et le salut ne peuvent coexister. Ce bloc entier réunit les ingrédients liés à la famille de Kiberlain sur les générations précédentes, qui malgré l’adversité, a pu se dégager un peu d’espace dans cette brumeuse.
Et quand bien même, l’académisme du cadre nous renvoient à des œuvres plus régressives, cela fonctionne encore, le temps de laisser la parole à une fille et une famille, en quête de son libre-arbitre, alors que tout les conduit à une émancipation forcée et inéluctable. On ne jouit qu’à moitié de ces instants joyeux, où l’on cherche constamment à nous tromper par les apparences, alors que la vérité saute aux yeux. Toute la force de l’intrigue reste dans ce non-dit, que l’héroïne s’accorde d’ignorer ou de détourner le regard, car Irène est véritablement « Une jeune fille qui va bien », jusqu’à ce qu’elle soit coupée dans son élan…