Comme tous faits réels, on connaît l’issue.
Ce qu’on peut ignorer c’est ce qui se passe avant, la façon dont ça s’est déroulé, le soin apporté aux détails qui conduisent à une fin heureuse ou inéluctable.
Qu’on soit religieux, athée, chauvin, patriote, voir Notre-Dame brûlée a été un choc.
Nous avons tous ressenti une certaine douleur, la douleur de la perte.
Ce n’est pas exagéré, il suffit de voir les séquences récupérées par Jean-Jacques Annaud pour se rendre compte que les curieux priaient pour sauver Notre-Dame ou souffraient à la perspective de la perdre.
Cela dépassait toutes frontières sociales et religieuses.
Au-delà de l’horreur, contrairement aux Tours du World Trade Center, il n’y avait pas âme qui vive dans Notre-Dame.
Notre-Dame était la seule victime de ce drame.
Voir les Tours Jumelles s’écrouler a été un choc et le demeure. Il est la conséquence d’un choc bien plus profond et insupportable voire traumatisant : deux avions de ligne qui percutent sciemment les Tours. Et là on pleure plus les victimes constituées de passagers, d’employés et de pompiers que deux tours de métal.
Au-delà du fait que Notre-Dame est le monument le plus visité de France, Notre-Dame nous renvoie à 800 ans en arrière.
Elle est là, plantée sur l’île de la Cité depuis plus de 800 ans.
Elle est bien avant la Tour Eiffel le symbole de la capitale française.
Elle est le personnage central d’un des romans de Victor Hugo.
Elle fait partie du paysage français, c’est-à-dire qu’elle transcende les esprits de tous les Français. Peu importe la région de France où on habite, peu importe le village perdu où on crèche, elle se rappelle à nous grâce à un proche qui revient de la capitale, grâce à un magazine, un film, un reportage, une photo égarée.
Patriote n’est pas la propriété des extrêmes. Je suis de ceux qui aime la France, de ceux qui aiment son histoire matérialisée par ses monuments.
Romain Gary posait la question suivante : « Quelle est la différence entre un patriote et un nationaliste ? » Quelque chose comme ça.
« Le patriotisme, c'est d'abord l'amour des siens, le nationalisme, c'est d'abord la haine des autres ».
Je n’ai toujours pas vu le Mont Saint-Michel et me suis juré de lui rendre visite, mais si d’aventure le monument venait à disparaître ou mis à mal, je serai blessé.
Je suis de ceux qui détestent les saccageurs, les destructeurs de monuments.
Je ne connais pas Palmyre, mais j’ai été bouleversé de voir des djihadistes de l'État Islamique saccager une partie du site ; je ne connaissais pas les Bouddhas sculptés dans la roche et ai été bouleversé de les voir explosés par les Talibans.
En soi, ça dépasse la notion de patriotisme, tout ce qui concerne le patrimoine mondial, au-delà des choix de l’UNESCO, me touche, même la plus petite église d’un village et peu importe que je ne sois pas croyant.
Il y a des lieux que je ne verrai jamais, comme le site de Pétra, d’Abou Simbel ou le site archéologique de Palmyre, mais je sais que ces monuments sont là.
Qu’ils sont visités.
Alors on peut toujours dire qu’il est exagéré de verser une larme pour des pierres. On ne pleure pas que des pierres, on pleure 800 ans d’histoire. On pleure des hommes de génie qui ont réussi à édifier un tel monument, ouvriers compris. Et ceux qui ont suivi pour assurer sa restauration.
On pleure pour ces chênes âgés de 800 ans qui soutiennent l’édifice.
On pleure parce que c’est une partie de sa France qui souffre ; pour les religieux, un refuge prestigieux à la gloire de Dieu.
Jean-Jacques Annaud émet des hypothèses pour justifier l’incendie : on y voit des ouvriers fumer alors qu’un panneau d’interdiction est affiché ; on y voit un pigeon peut-être responsable d’un court-circuit.
Il ne sait pas trop et pour cause, aucune conclusion n’a été révélée à ce jour.
Dans ce cas, y avait-il urgence de faire un film ?
Certainement.
En tout cas, l’émotion est là, ne serait-ce que de (re)voir Notre-Dame brûlée.
Je connais l’issue mais Jean-Jacques Annaud a réussi à me capter.
Drôle de film quand même qui flirte avec le documentaire.
Le rôle principal revient à Notre-Dame, incontestablement.
L’émotion est là que pour Notre-Dame !
Aussi étrange que cela puisse paraître l’émotion ne vient pas de ces pompiers - hommes-femmes -, qui bravent un feu qui défigure Notre-Dame, en ce qui me concerne.
Les hommes et femmes faits de chair et de sang sont là pour servir notre héroïne. Et pourtant, ce sont bien des héros puisqu’ils ont fini par circonscrire l’incendie.
L’émotion est pour un pompier, celui qui prendra l’initiative de monter sur l’une des tours, qui osera proposer son plan.
Sans lui, que serait devenue Notre-Dame ?
Ce passage relève-t-il de la vérité ?
Si tel est le cas, bravo à ce pompier, bravo à ses supérieurs de l’avoir écouté, bravo à ses partenaires de l’avoir accompagné pour mettre définitivement un terme à cette horreur.
Ce qui m’a surpris, au-delà des difficultés des secours à accéder sur les lieux alors que pour certains ils étaient proches, c’est la résignation du commandant des opérations, lequel convainc le Président de la République d’accepter l’issue de ce drame.
Comme à l’hôpital où un chirurgien dit aux proches d’un patient : « Il n’y a plus rien à faire. »
Et bien si, grâce à ce pompier curieux et déterminé à sauver ce prestigieux monument, Notre-Dame est sauvée.
Je salue la reconstitution de Notre-Dame, j’ai été saisi par l’illusion de sa présence et des effets spéciaux avec ce feu destructeur.
Même si les conclusions de l’enquête tardent à venir, Jean-Jacques Annaud a proposé des hypothèses qui se tiennent. Il a réussi à relater un drame insolite qui a ému une partie du monde entier.
Insolite car il ne s’agissait ni d’un être humain, ni d’un animal, ni d’un lieu, mais d’un monument, et pas importe lequel, un monument vieux de plus de huit cents ans : Notre-Dame de Paris.