Vous vous retrouvez avec un individu, une connaissance, un copain, une copine que sais-je, bref en compagnie de quelqu'un pris d'une soudaine envie de vous raconter une histoire drôle. Vous êtes curieux, alors vous l'incitez à la dévoiler. Il commence, vous pose une situation de départ, le personnage, introduit un rebondissement, puis un autre personnage, expose son parcours, puis un autre dont il vous dresse le CV, puis un énième rebondissement. Et là, paf, il a oublié un élément donc il revient en arrière pour corriger le tir, et tiens ça lui rappelle une anecdote sur autre chose. Alors il fait un détour, se perd en route, hésite, se rappelle et termine sa blague. Le temps qu'il ait retrouvé le fil, vous l'aviez perdu depuis perpète. Votre seul gain, c'est la certitude que ce quelqu'un ne sera jamais un scénariste de talent.
Ce quelqu'un, c'est Bullet Train. Ou plutôt David Leitch, co-réalisateur sur John Wick passé en solo pour Atomic Blonde.
On se frottait les mains en imaginant l'équivalent avec Brad Pitt en tueur malchanceux coincé dans un Shinkansen (TGV japonais) grouillant de collègues du genre expéditifs. Mais quand on braconne sur les terres d'un Guy Ritchie période Snatch ou chez Quentin Tarantino, il faut en avoir entre les oreilles pour ne pas fourguer un mauvais pastiche. Transformer un action movie en cartoon débridé est la solution, le lieu ainsi que la multiplicité de personnages truculents ouvrent cette voie. Mais non, patatra ! La narration est un bazar intégral. Les personnages s'empilent, les arrêts flashbacks se cumulent, et on rajoute des personnages. Les histoires avancent séparément, se croisent, s'arrêtent, reprennent, se percutent. Ça meuble, il y a du gras, pas mal de redondances, et beaucoup de choses éculées. En somme, aucun intérêt. À l'image de Hobbs & Shaw ou Deadpool 2 du même David Leitch.
Tarantino et Ritchie auraient pu demander des royalties à Sony Pictures, heureusement David Leitch les contrefait suffisamment mal pour que la méprise soit impossible. L'histoire n'a tout simplement ni queue ni tête, à force de digressions inutiles et d'humour au rabais. Ôtez Coccinnelle (Brad Pitt), les autres personnages ne sont que des vignettes sans consistance, utilisés pour débiter des dialogues peu finauds. Un gag marchera par inadvertance - souvent grâce à Brad Pitt - les autres passeront à la trappe sauf si on est fans des blagues sur les toilettes intelligentes et du train-train Thomas qui assomme tout le film. Sans parler des laïus sur le self-control, plus drôle au bout d'une heure de film. Quant aux visites surprises, une passe encore, les suivantes tiennent de la mauvaise blague méta ou de la réunion d'amis. Et l'action ? Du fonctionnel, rien de moins, rien de plus. Le lieu n'est jamais vraiment utilisé pour des chorégraphies ludiques ou originales. Généralement réglées en 1 minute chrono, les bastonnades finissent par se ressembler et on y attache plus vraiment d'attention. Triste à dire mais rien à retenir, et certainement pas ce final laissant libre cours à des effets visuels mal finis.
Qu'on goûte un peu ou pas trop à la franchise John Wick, la formule hybride entre cartoon, shoot'em up et arts martiaux est un modèle de linéarité. Une ligne claire dont Bullet Train aurait mieux fait de se réclamer plutôt que de rejoindre la volée de productions créées par algorithmes. On y aurait probablement gagné une demi-heure de vide abyssal, et obtenu un film d'action regardable. À l'inverse, on se retrouve avec un produit bien de son époque, où on met bout à bout des morceaux pris d'un peu partout en espérant atteindre une nouvelle forme. Un monstre de Frankenstein aurait été une victoire, puisque les émotions auraient été sollicitées un minimum. Là, non c'est juste un produit bas de gamme. Ou une histoire drôle mal racontée sur 2h07.