Rebel est un titre compréhensible dans de nombreuses langues, donc idéal pour Adil El Arbi et Bilall Fallah : "C’est un mot simple et iconique à la fois. Il symbolise différents aspects de notre film. Il y a d’abord le côté historique autour du champ lexical de la propagande syrienne de l’Etat Islamique qui qualifiait ses combattants de rebelles."
"Il y a ensuite la façon dont l’un des personnages, Kamal, le grand frère interprété par Aboubakr Bensaihi se vit lui-même comme un rebelle qui roule à moto, comme dans les films avec James Dean. Puis, il y a la rébellion de Nassim, le petit frère, face à sa mère. Et enfin, il y a ceux qui se rebellent contre l’Etat Islamique et sa dictature", confient-ils.
Adil El Arbi et Bilall Fallah expliquent pourquoi ils ont fait un film sur la radicalisation d’un jeune Belge d’origine marocaine : "En 2012, 2013, des gens de notre âge, la plupart de la même origine que la nôtre, origine marocaine, qui habitaient en Belgique, ont décidé de partir en Syrie. Une chose qu’on n’avait vraiment jamais vue."
"Il n’y avait pas eu ce même phénomène lors du conflit en Irak. Il s’agissait de jeunes gens parfois qu’on connaissait, ou des amis d’amis. Tout le monde en Belgique, d’origine maghrébine, connaît quelqu’un qui est parti là-bas, et souvent ces jeunes partaient en groupe. On se demandait ce qu’ils allaient faire en Syrie."
Adil El Arbi et Bilall Fallah, à qui l'on doit des films de gangsters esthétiques comme Black et Gangsta, ont aussi réalisé le blockbuster américain Bad Boys For Life, suite de Bad Boys et Bad Boys II de Michael Bay. En mai 2021, après avoir mis en scène deux épisodes de la série Miss Marvel, ils sont choisis pour être aux commandes de Batgirl, la nouvelle mouture DC pour HBO Max.
Mais la nouvelle direction de la Warner a finalement décidé d'annuler le film début août 2022... Une annonce qui a déclenché un véritable coup de tonnerre à Hollywood alors que le blockbuster de 70 millions de dollars était d’ores et déjà tourné et en phase de postproduction.
Le budget de Rebel est estimé à 8 millions d'euros, soit huit fois moins que celui de Bad Boys for Life (90 millions de dollars).
En 2014, l'Etat Islamique a installé son hégémonie selon Adil El Arbi et Bilall Fallah. En témoignent les terribles attaques terroristes de 2015 et 2016. Les réalisateurs précisent : "Nous avons été témoins de tout ce phénomène progressif impliquant toute notre génération. C’était une guerre très proche de nous, soudainement, alors qu’avant les conflits se passaient habituellement toujours sans nous, au loin."
"On ne voyait jamais des Belges, des Flamands dans cette région du monde. C’était vraiment nouveau par exemple de voir des films de propagandes d’organisations terroristes avec des gens qui nous ressemblaient, parlant le français qu’on parle ici, qui venaient de nos quartiers."
Avec Rebel, Adil El Arbi et Bilall Fallah retrouvent Aboubakr Bensaihi, qui était l’acteur principal de Black (2016). "Il vient de Molenbeek, il connait des gens qui sont partis. Le sujet lui tient à coeur, donc c’était logique qu’il devienne Kamal", racontent-ils.
Adil El Arbi et Bilall Fallah ont entrepris beaucoup de recherches en amont du tournage et ont parlé avec de nombreuses personnes. En 2014, les metteurs en scène ont recueilli les premières histoires de jeunes qu'ils connaissaient et qui se sont rendus en Syrie.
"On a discuté avec leur famille. On a beaucoup écouté et pris des notes. Finalement le film n’est pas basé sur l’histoire d’une seule famille, mais sur plusieurs histoires croisées que nous avons voulu restituer de la façon la plus réaliste possible", ajoutent-ils.
Si la partie syrienne de Rebel a été tournée en Jordanie, les séquences belges se déroulent à Molenbeek, une ville désormais célèbre pour le nombre de ses jeunes partis en Syrie. Molenbeek, et proportionnellement la Belgique, a même eu le plus grand pourcentage de gens qui sont partis en Syrie combattre pour l’Etat Islamique. Adil El Arbi et Bilall Fallah expliquent :
"Les Belges en Syrie étaient connus pour être ceux qui sont arrivés dès le début du conflit syrien. Personne n’arrive à expliquer vraiment clairement pourquoi la Belgique possède ce pourcentage aussi élevé, deux fois, trois fois la norme des autres pays."
"Cela a pour résultat que les jeunes ont la sensation qu’ils n’existent pas, mais là-bas on leur dit qu’ils vont exister, qu’ils vont faire partie de quelque chose de grand, d’important, qu’ils vont être des héros."
Adil El Arbi et Bilall Fallah et leur directeur de la photographie attitré, Robrecht Heyvaert, avaient pour références visuelles les films de Jacques Audiard (pour son sens profond et nerveux de la lumière dure) et ceux de Kore-Eda (pour son sens du récit familial). Les metteurs en scène développent :
"On pourrait aussi ajouter Denis Villeneuve pour Incendies. Visuellement, on savait qu’il fallait avoir une différence entre la Belgique et la Syrie, même si, sans même le vouloir, cette différence était automatique tant le soleil et l’environnement entre les deux pays sont totalement différents."
"La Belgique est un vieux pays, l’architecture est très ancienne, mais il y a aussi beaucoup de béton, le temps est grisâtre, il fait froid ; et puis, après, on va vraiment dans un autre monde, celui de la Syrie qui est un territoire de western. Ils n’ont pas de chevaux, ils ont des motos ! On a filmé ce Far West qui n’a rien de mythique, sans rien enjoliver."
Le film a été présenté en séance de minuit au Festival de Cannes 2022.
La première version de Rebel durait quatre heures. Les réalisateurs ont ensuite coupé une heure, un quart d'heure, puis encore cinq minutes. Après la projection à Cannes, où plusieurs critiques leur ont dit que le film est trop long, ils sont finalement parvenus à une durée définitive de 2h15.
Adil El Arbi et Bilall Fallah ont choisi de lorgner du coté de la tragédie musicale. Ils expliquent : "L’aspect musical est un outil parfait pour ce film, car c’est très important dans la culture arabo-musulmane. C’est autant le hip-hop moderne, qu’une pure mélodie traditionnelle dans l’esprit de Shéhérazade racontant Les Milles et Une Nuits."
"La poésie arabe est renommée, beaucoup d’instruments de musique ont été inventés dans les pays arabes, donc la musique fait vraiment partie de notre culture, elle est très riche, très diverse, très signifiante, elle est politique et très poétique, lyrique et nous influence, et ce qui était intéressant c’est que l’Etat Islamique est totalement contre la musique."