Vu en séance de minuit à Cannes le 26 mai (1ère mondiale). Je ne savais pas ce que j'allais voir, c'était donc une surprise complète. Autant dire que j'ai pris l'une des plus grosses claque cinématographique de ces dernières années. La sortie officielle étant proche, je pense que c'est le bon moment pour poster une critique.
Déjà, le sujet traité particulièrement sensible de Daesh est géré de façon très pragmatique et très complète. Rien ne semble avoir été laissé de côté, tout est décortiqué, que ce soit les promesses et aspects les plus "séduisants" que l'ISIS adresse à ses recrues, ou l'horreur impitoyable et la violence profonde des actes des djihadiste, y compris en interne, dont la plupart mettent en avant les contradictions extrêmes entre les paroles et les actes. Le tout en passant par l'instrumentalisation de l'image (la scène de l'exécution, par exemple, qui est aussi cocasse dans la façon de faire très plateau hollywoodien que cruelle dans l'action elle-même). D'ailleurs, au-delà des aspects familiaux et valeurs, le film tourne beaucoup finalement autour du rapport à l'image dans tous ses sens et de la manipulation par celle-ci : la mise en scène à des fins de propagande, la perception médiatique, l’image que Kamal renvoie à sa famille, l’image que les autres ont de la famille de Kamal et les stigmatisations qui en résultent... .
On pourrait, comme je l’ai lu ailleurs, critiquer que la violence du film est uniquement à des fins de captation du public (le film n'en manque pas il faut le dire). Mais ce serait passer à côté du vrai but : explorer de façon pragmatique la réalité du djihad, dans sa violence physique comme psychologique. Et là, on arrive à un point qui avait beaucoup fait débat en sortie de la projection : le mixage son.
Soyez avertis, c'est fort. Très fort. Quand il y'a une explosion ou des tirs d’armes à feux, il n'y pas de musique épique, pas de mixage pour rendre audible ce qui se dit et rendre l’expérience sympathique. Le film ne nous épargne pas la réalité des choses et c'est le but : nous donner une idée, bien assis dans notre fauteuil, de ce que c'est réellement que de se retrouver au milieu d'une fusillade ou à côté d'une explosion, loin de tout artifice hollywoodien ;
C'est insupportable (et c'est le but) et tout le monde ne l'appréciera pas et ne le supportera justement pas, mais ça marque assurément au titre d’expérience cinéma.
Je pense que les deux moments illustrant le plus toute la force de cette intention des réalisateurs sont
le plan séquence (magnifique dans sa réal et très immersif) de la première mission caméra sur le terrain de Kamal
, et plus tard en fin de film,
l'explosion à côté du dortoir des enfants
. Pour le coup, pas d'interprétation de ma part sur cette volonté de mixer le son au plus proche du réel, dans la mesure où j'ai eu la chance de rencontrer par hasard et d'échanger avec Adil El Arbi le lendemain matin (au demeurant très sympathique et accessible), et d'avoir quelques éléments sur le film. Anecdotes supplémentaires et qui pour moi démontre du sérieux avec lequel le sujet a été traité et que ce n'est pas juste un film choc pour faire un film choc (comme j'ai pu lire par ci par là) : le duo de réalisateur travaille sur ce film depuis plusieurs années, à grand coup de témoignage, et certains figurent à l’écran. Le plus fort étant lors du passage
où Leila, la mère, va a une réunion de soutient de mères de familles ayant des enfants partis faire le djihad
. On s'était posé la question avec des amis tellement la scène était poignantes et criante de sincérité si
il s'agissait d'actrices ou pas
. L'échange avec le réalisateur a permis de confirmer que
ce n'étaient pas des actrices, mais bien des mères de famille témoignant à même le film
.
Autre point que je souhaitais aborder : les passages musicaux. Il n'y en a pas beaucoup (j'en ai 4 en mémoires) et ils sont un peu inégaux, voir peut être légèrement sur-illustratifs pour certains. Mais même si narrativement, on peut se questionner sur l'intérêt, sur l'exécution, on ne peut que reconnaitre qu’ils sont très beaux, avec des chorégraphie et une photographie superbes. De façon générale d’ailleurs, le film est très beau, avec des photographies propres aux deux lieux principaux (la Syrie et la Belgique), et certains tableaux sont magnifique ce malgré les évènement qui s’y déroulent en trame de fond.
Enfin, le jeu d’acteurs. Et là pour le coup, je ne vois pas vraiment de chose à redire si ce n'est l’ensemble du casting est très solide et joue très bien. Aboubakr BENSAIHI (Kamal) et Lubna AZABAL (Leila, la mère) sont excellents et on s’attache bien aux personnages. Les acteurs campant les personnages secondaires sont également très bons, même les plus ignobles d'entre eux (ça faisait depuis Jeoffrey BARATHEON que je n’avais pas eu autant envie de rentrer dans l’écran pour coller une baffe à un personnage, en l’occurrence Idriss, le recruteur joué par Fouad HAJJI). Les acteurs principaux s’illustrent aussi fortement dans l’interprétation des passages musicaux (chant et chorégraphie). Je ne dirai pas que l’un d’eux en particulier crève l'écran, mais je peux dire qu'ils sont tous très solides et bon dans leurs rôle, y compris les enfants (notamment le jeune frère Nassim, joué par le frère d’un des réalisateurs, Amir El Arbi)
Pour conclure, je dirais que c’est un film assez unique, tant dans le sujet traité que la façon de le traité, et qui déborde de moments marquants. L’approche est presque documentaire quand on y réfléchit, qui cherche à décortiquer tous les rouages de Daesh, et l’impact sur les familles de ceux ayant rejoint le djihad, devant vivre avec ça, avec le jugement, la stigmatisation, la peur et l’espoir désespéré de voir revenir le proche parti. La fin est peut être un brin "Too Much" dans le choc, un peu téléphonée aussi, mais est plus (avec le recul) à prendre pour son symbolisme cruel plus qu'autre chose.
Bref, mon coup de cœur ciné de l’année pour le moment, dont je guettais avec impatience la sortie officielle en salle pour retourner le voir et le faire découvrir à des proches.
Je recommande fortement, et surtout, à voir en salle pour pleinement profiter de l’expérience (même si elle est rude par moment, mais c’est ce qui fais le sel de ce film à mon sens).