Louis Garrel passe derrière la caméra pour nous offrir « L’Innocent », une sorte de comédie mi-farfelue, mi-tragique. Plutôt réalisé avec talent, avec même quelques jolies petites idées de mise en scène, « L’innocent » est un film de moins d’une 1h40 qui passe très vite et comme une lettre à la poste. Humour décalé, plutôt bien dosé et qui fait mouche, personnages assez bien croqués, le film fait le job alors que sur le papier et au vu du résumé, honnêtement, il ne parait pas gagnant. Garrel parsème son film de quelques tubes bien kitch des années 80, de Catherine Lara à Herbert Léonard, c’est un peu étonnant, ça donne au film une sorte de ton un peu daté, comme le grain un peu grossier de l’image qui semble, lui aussi, dater des années 80. Même si je ne comprends pas bien pourquoi il a pris ce parti (si ça se trouve c’est juste qu’il aime chanter du Gérard Blanc dans les karaokés !), ça fonctionne. J’aime bien aussi la façon dont il a filmé la ville de Lyon, choisissant le début du mois de décembre (on voit la fête des Lumière à un moment), ce qui n’est pas la période la plus « carte postale » de la ville. Malgré tout, elle est bien mise en valeur, que ce soient les petites ruelles, les bords de Saône ou le Quartier Saint-Jean. On y chante même une chanson des Canuts à un moment, plus Lyonnais, tu meurs… Si dans la forme, le film est bien tenu, c’est surtout le casting 4 étoiles qui emporte le morceau. 4 rôles principaux, tenus par 4 comédiens irréprochables. Anouk Grinberg, bien trop rare au cinéma, donne corps à un Sylvie fantasque, amoureuse comme une gamine à 60 ans et qui, tout à son nouveau bonheur, se comporte comme une adolescente. Noémie Merlant, c’est la bonne copine de toujours, qui est toujours partante pour l’aventure. Elle aussi, elle sort des normes et c’est une sorte de copie de Sylvie, en plus pudique. Noémie Merlant, que j’avais découverte dans un rôle très différent dans « le Ciel Attendra », est formidable, notamment dans la longue scène du restaurant. Roschdy Zem est égal à lui-même, élégant et charmeur, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession alors même qu’il sort de prison,
et on aurait bien tort
. Louis Garrel se réserve le plus mauvais rôle, celui du type raisonnable entouré de gens qui croque la vie. Il est veuf, moralisateur, ne sourit quasiment jamais, essaie de remettre tout le temps les pieds de ce petit monde sur terre, bref, il est triste comme la pluie. Garrel joue peut-être avec une certaine autodérision de l’image que le cinéma français donne de lui, et si c’est le cas c’est une belle idée. Le scénario parle beaucoup d’amour, d’amour compliqué entre une mère et son fils, entre une femme mûre et son nouveau mari, d’amour-amitié entre un jeune veuf et la meilleure amie de sa femme décédée. Et il y a aussi un peu d’amour père-fils entre ce trentenaire qui n’a pas connu son père et ce nouveau beau-père qui semble combler une sorte de vide.
Dans « L’Innocent », l’amour fait faire les pires choses comme les plus belles : protéger, soutenir, consoler mais aussi trahir la confiance, trahir la mémoire de quelqu’un qu’on aimait et… tomber dans l’illégalité. Sans trop en dire sur l’intrigue, l’infortuné Abel va se retrouver à devoir gouter au fruit défendu du crime en tant que complice. La scène du restaurant, puis toutes les scènes d’action qui suivent jusqu’à la scène du cimetière, c’est le moment fort du film et là, Louis Garrel et Noémie Merlant nous font rire et pleurer en même temps.
Le film se termine sur une sorte de pirouette scénaristique, ironique, assez réjouissante aussi pour terminer cette comédie sur une note d’émotion contenue très touchante. « L’Innocent », sur le papier, ne m’emballait pas plus que ça. Sur l’écran, Louis Garrel m’a embarqué dans son histoire pleine d’amour et de fantaisie, merci à lui.