Après le magnifique *Jackie* et son double deuil (seul et dernier film donc que j'ai pu voir de Pablo Larraín), *Spencer* s'installe quant à lui à Sandringham House en Angleterre, en suivant si je ne m'abuse le dernier noël de Diana Spencer avec la famille royale. Un séjour sur trois jours, qui ouvre au film trois parties : le 24, 25 et 26 décembre. Et si l'on commence par hasard à suivre les lignes du récit chrétien, *Spencer* aurait un avant et après noël. La naissance du Christ donc, et la tentative de renaissance d'une femme prise dans un cauchemar royal.
Ici, Pablo Larraín n’abandonne toujours pas son geste de mise en scène qui avait tant créé la stupéfaction face à *Jackie* : cette caméra que je catégoriserait de « *kubricko-malickienne* », accompagne de manière quasi-fantomatique les gestes et visages (Malick), et laissant ensuite les corps se faire écraser par le poids du monde environnement sous l'œil d'une caméra presque rigide (Kubrick). Larraín a bien une radicalité dans son approche au biopic (genre souvent lissé à la simple fiche biographique). Une radicalité qui trouve son deuxième bras dans le récit et la manière dont Pablo Larraín le pense : loi de la contemplation intime et possibilité des fantaisies. *Jackie* trouve une certaine réponse en *Spencer* : si le film sur Jackie Kennedy cherchait à retenir coute que coute le pouvoir, ce film parcellaire sur Lady Di cherche quant à lui à le fuir de manière inespérée. Diana Spencer est asphyxiée par l'univers environnent : paparazzis invisibles que l'on redoute ; surveillance omniprésente et fantomatique des majordomes de la maison ; pression des regards, gestes, coutumes et traditions qui émanent tous de la figure de la famille Royale, comme une toile de fond que l'on ne peut percer. La musique du génie Jonny Greenwood (il faut toujours le rappeler), tantôt anxiogène et mélancolique, continue aussi à sa façon de matérialiser l'asphyxie ambiante que Diana ne supporte plus. Une overdose qui se tient bien au-delà de ce séjour : la figure du pouvoir même et celle de la royauté sont inscrits dans son sang.
Un malaise environnent qui mène à la folie : c'est là où Larraín propulse quelque chose. Entre les visions cauchemardesques et la réalité, ou les errances de Diana qui relèvent autant de l'horreur que du labyrinthe mental, *Spencer* ouvre aussi une mise en abyme historique : celle d'un livre que feuillètera Diana et qui raconte la tragique histoire d'Anne Boleyn, mère d'Élisabeth Ire et seconde épouse du roi Henri VIII d'Angleterre. Une femme qui connaitra une fin terrible par la décapitation car accusée à tort d'adultère, d'inceste et de haute trahison. Une martyre (le titre du livre lui-même l'évoque), et dont Diana semble se projeter autant par les écrits du bouquin que par les mystérieuses apparitions multiples d'Anne Boleyn qui lui sont faites. Nous avons face à nous un portrait gâché qui déambule : portrait - corps - gâché par un mari, par la pression tout aussi imagère que virulente de la royauté.
*Spencer*, c'est une histoire de martyre dans les angles morts des images officielles (la réponse et prolongation à *Jackie* est toujours là). On tente de fuir la cadre, mais on finit toujours par se faire rattraper. Une chose me parait portant légitime à questionner : au-delà de toutes les considérations que l'on pourrait faire au film, l'art à la Pablo Larraín semble tel un équilibriste qui lutterait pour ne pas tomber dans le vide du tape-à-l'œil. C'est très beau bien-sûr, mais on est effectivement en droit de s'interroger sur cela. Je repense à ces nombreuses scènes de pures danses dans *Spencer* et où mon esprit s'est d'un coup détaché du geste envoutant qui me passionnait depuis plus d'une heure : on dirait que Larraín fait une pub Channel avec en vedette l'égérie Stewart. Je ne cherche pas à dire oui ou non, mais plutôt à poser le ressenti. *Spencer* semble roder avec la luxuriante publicité, une fois la touchante fable de martyre évaporée. Heureusement, le film ne perd jamais du regard son point de fuite : celui de la libération. On a enfin habillé l'épouvantail de la robe royale, et Diana et ses enfants se retrouve près du London Bridge, savourant un simple fast-food. La suite de ce 26 décembre appartient à l'Histoire, dont les recoins sont aussi malheureusement des plus tragiques. Mais il semble bien y avoir une (re)naissance comme je le disais au départ. On a enfin trouvé la faille de Sandringham House, de la campagne d'antan, de rouages imperceptibles et rodeurs de l'iconographie royale, et ainsi du cauchemar fait de perles luxuriantes. *Spencer*, c’est un peu une course à la libération : le parcours intéresse, la gestuelle parfois un peu moins.