Après René Saavedra et Pablo Neruda, le réalisateur chilien Pablo Larraín s’est tranquillement tourné vers des personnalités, comme la Première dame Kennedy et maintenant la tourmentée Lady Di. L’une comme l’autre fait face à un monde qui s’écroule autour d’elle, un monde qui couve leur famille et un esprit souillé par le deuil d’un amour. Le dernier portrait d’Ema n’échappe pas à cette problématique, qui viendra davantage alimenter le malheur d’une mère, sous l’emprise de la royauté et de son indigence. Le cinéaste, comme Oliver Hirschbiegel neuf ans plus tôt, se concentre sur un court segment de vie de la princesse de Galles. Mais au lieu d’en retenir le dernier souffle, Larraín lui consacre cet instant décisif qui la pousse à fuir et surtout à se libérer du joug d’une monarchie aux traditions controversées.
Trois jours suffiront pour nous entraîner dans la psyché de la femme derrière la princesse, où le cadre la confinera dans un espace clos et qui cherchera à y voir plus clair dans ses tourments ténébreux. On ouvre sur une patrouille militaire, alignée dans une mécanique implacable, roulant au-dessus de carcasses de faisans, trophées de chasse pour la cour et les convives de ce Noël 1991. Mais non loin de là, une femme au volant, seule et dont la destination semble incompréhensible, se heurte à ses responsabilités princières. En retard à plus d’une mesure, Diana agonise mentalement et physiquement, avant même de rejoindre la résidence Sandringham House, qui a tout de l’Overlook Hotel, un palace glacial, où les démons vampirisent la détresse et la folie de ses hôtes. Mais il n’y aura qu’une victime à déplorer, qu’une seule qui témoigne d’une humanité. On ne reviendra pas sur ce qu’elle a pu accomplir depuis qu’elle a rejoint ce cercle fermé, mais l’on comprend hélas ce qu’elle perd peu à peu en présence d’une famille, qui veille davantage à son image que son confort.
Le sujet médiatique semble la justification idéale pour laisser la jeune femme sombrer, à l’abri de la lumière, du vent et loin de ses deux fils, qu’elle chouchoute simplement parce qu’il ne reste que cela à faire, afin de s’approprier un soupçon de révolte et une brise de liberté. En plus d’une discussion écourtée avec un faisan, dont on fera le rapprochement symbolique. Le réalisateur n’hésite pas à distiller un air froid à l’image, où les alliés se font rares, car les yeux et les oreilles sont actifs, prêts à marchander une part de malheur qui se dégage d’une Diana dépressive et suicidaire. D’une hallucination à une autre, c’est une révélation qui en découle, sans brusquer, juste ave assez de tendresse pour la pousser vers ses racines. Il fallait d’ailleurs compter sur une Kristen Stewart à la hauteur de cette vision horrifique et mélancolique. La comédienne porte le poids de culpabilité, à moitié assumé par son personnage enchaîné et dont la boulimie reste qu’un des supplices qu’il doit surmonter.
Ainsi, « Spencer » reprend ses droits et son nom, dans une fable qui s’écarte des lourds codes des biopics, comme on en retrouve chaque année, dans un emballage peu rafraîchissant et beaucoup trop explicatif. Nous aurons droit à des instants plus émotionnels de ce côté du décor, où l’oppression s’illustre comme un planning sur-mesure, un rappel à l’ordre qui n’en finit plus, la partition de Jonny Greenwood accompagnant chaque pas hésitant et des représailles qui achèvent les espoirs de fuite. Lady Di n’est plus qu’une poupée qu’on instrumentalise et qu’on humilie à une échelle que les médias ne peuvent que déformer. Mais le secret de la réussite ne tient pas à l’authenticité. Le film ne revendiquera jamais plus qu’un accueil chaleureux, au lieu d’une couverture humide et qui couvrira davantage les peines d’une mère au grand cœur.