Chez Disney, le cinéma est en sursis, sachant tous les sacrifiés sur l’autel du streaming (Soul, Raya et le Dernier Dragon, Luca). Mais alors que l’on découvre le nouveau-né d’une couvée autoprogrammée, on se surprend, une fois de trop, d’une négligence qui n’est due ni à la sophistication visuelle, ni au rythme trépidant du récit. La magie est le mot-clé de cette usine à rêve et jusqu’ici, elle s’en est plutôt bien sortie pour ne par hurler au désastre. Le trio de réalisateurs (Byron Howard, Jared Bush, Charise Castro Smith), certains étant passé par Zootopie, nous régalent dans ce festival colombien, qui donne moins l’impression d’être face à une carte postale. Néanmoins, et ce, malgré l’ensemble qui ne s’effondre pas de bout en bout, il s’agit d’un film qui explore des fissures cachées et une peine irrécupérable, à l’heure où l’on y croit plus du tout, à ces jets d’étincelles, à peine déguisés en feux d’artifice.
Dans la famille Madrigal, on apprécie les prouesses hors du communs, tel Xavier et ses écoliers. Mais pas question de désintégrer des vilains à l’ego démesuré ou de partir à l’aventure dans des contrées lointaines, très lointaines. L’objectif est de prospecter l’intimité d’adolescents en crise identitaire, notamment celle de Mirabel. La moldus de circonstance n’est qu’une paria dans un univers qu’elle a beau accepté, mais qui la rejette sans raison. La magie ne l’atteint pas, pas plus qu’elle n’atteint les membres qui composent sa fratrie. Avec une sœur pomponnée et l’autre sévèrement plus athlétique, elle ne sait plus où se placer. Ajoutons la cousine commère, un métamorphe instable et la dernière création zootopique, Mirabel n’existe que par sa maladresse et sa bonne volonté. Ce sont deux choses qui la rendent chaleureuse et à l’écoute, des qualités qui ne s’inviteront pas si facilement dans la boucle d’un récit, déjà-vu et généreusement convenu.
Depuis Soul, le studio a fini par s'approprier la technicité fleurissante de Pixar, sans jamais l'égaler et sans préserver sa patte émotionnelle. Mais l'obsession magievore de Disney prive l’intrigue du fameux souffle qu'on est venu chercher. C'est un drame familial, qui ne trouve jamais la bonne issue, jamais le bon ton pour nous surprendre. L’accessoire ne fait pas le pouvoir, c’est pourquoi le terrain de jeu est réduit à la casita, personnage à part entière, mais dont la maigre caractérisation place ce totem dans le tiroir des enjeux ludiques. Pire encore, le dénouement viendra contredire le sens miraculeux de l’union familiale, celle que l’on s’efforce de bâtir, par le biais de thématiques alléchantes. Dommage que l’on se prive de cette lueur d’espoir que porte l’héroïne à lunettes, vis-à-vis d’une grand-mère régressive et qui aura droit de revisiter sa tragédie, malgré le fait que tout a été dit à l’ouverture. Ce n’est pas un changement de point de vue, mais plutôt une notion de partage qui échoue, par manque de communication et de confiance, comme si la seule inspiration des paroles chantées vise à révéler les fêlures d’une famille en crise.
Ainsi, « Encanto » est une utopie, proche de l’absurde avec le recul, mais qui reste un bijou dynamique et visuel. Ce que l’on ne pourrait pas non plus reprocher à l’œuvre, c’est bien l’élan de Lin-Manuel Miranda, proposant des scènes de comédies musicales agréables et stylisées comme un renouveau. Mais tout cela se noie dans l’anecdote, car jamais elles ne servent le discours d’émancipation, tout comme le discours de réconciliation. Et d’autres personnages surnagent dans le décor. Comment croire alors en cette cohésion, qui s’articule en une pirouette scénaristique, souvent poussée à l’extrême et vue sous d’angle du premier degré ? On aurait aimé se sentir ballotté et enchanté, mais c’est comme si l’on acceptait de ne jamais sortir du même refrain, que le studio nous sert depuis longtemps, avec son lot d’ivresses et sa symphonie assourdissante.