Jusqu'ici, un seul autre film des frères Coen était contemporain de la réalisation : Arizona Junior. C'est aussi le plus hystérique, aux rôles surjoués à l'excès et, dès le début de ce Intolérable Cruauté, Geoffrey Rush plante le décor : ce second film contemporain va souffrir des mêmes excès, comme si les frères avaient besoin d'un cadre temporel différé pour faire preuve de mesure ; une mesure toute relative étant donné que le burlesque et l'absurde dominent leur oeuvre.
Ceci étant posé, on constatera que tous les films des frères Coen se répondent les uns les autres (un jeu amusant est de justement choper les correspondances). Ici, l'obsession du personnage de George Clooney pour la blancheur de ses dents n'a d'égale que celle du personnage qu'il incarne dans O'Brother pour le brillant de ses cheveux. Autre correspondance, l'intrigue procéduriale inventée par le même Clooney rejoint celle de Tony Shalhoub (Maître Freddy Riedenschneider) dans The Barber.
Le cinéma coenien est un cinéma de détails où l'intrigue passe systématiquement au second plan, où les personnages, de toute façon caricaturaux, ne sont qu'un prétexte à la satire sociale et à une forme élevée d'absurde (on n'est jamais très loin de Kafka et de son humour noir, parfois trash et mordant) ou de sordide.
La férocité des dialogues et des situations est savoureuse. La scène du restaurant, lorsque Massey (Clooney) y invite la femme et adversaire de son client (Zeta-Jones), concentre à elle seule tout le propos du film : du vide abyssal vêtu des atours de la réussite. C'est creux et bêtifiant (en vrai, un Château Margaux de 1950, ça reste en bouteille ou ça se vide dans un évier : ça ne se boit pas, même en vinaigrette) à l'image de la vie des personnages.
Au niveau freudien, on notera une prédominance pour le stade anal, du moins durant la première partie du film. La seconde se révèle plus profonde, plus sombre aussi, moins hystérique, où les adversaires d'hier deviennent confidents, conscients du temps qui passe et qui s'affiche intubé de partout, pour lui, cloîtrée solitaire dans son domaine, pour elle.
S'en suit alors un retournement un rien trop mélo, beau discours, applaudissements, à l'américaine, mais le cinéma des frères Coen va bien plus loin et se révèle universel : le cynisme vaincu, les bons sentiments victorieux, il reste l'amertume d'une victoire trop facile.
La dernière partie, inévitable, me rappelle, plus encore que les deux précédentes, La Guerre des Rose, film impitoyable de la fin des années '80 (De Vito-Douglas-Turner). Une lutte à mort et sans merci...
Jusqu'à la fin salutaire
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Intolérable cruauté est une rédemption inutile, un jeu à qui gagne perd. Un autre conte immoral moral des frères Coen.