Implacable
L’iranien Ali Abbasi propose un formidable polar qui ne pourra que provoquer la polémique, non pas sur le fond mais sur la forme. Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées. 116 minutes très dérangeantes marquées par certaine scène à la limite du soutenable.
Le précédent film d’Abbasi, qui a la double nationalité iranienne et suédoise, se passait en Scandinavie, et s’était, lui aussi, révélé pour le moins troublant, il s’agit de Border en 2019. Cette fois il développe avec force un implacable réquisitoire contre la société des Mollahs et surtout contre le sort fait aux femmes. Le scénario est basé sur un fait divers réel auquel le cinéaste a commencé à s’intéresser lorsqu’on s’est mis à considérer le tueur en série comme un héros – et qu’on a raconté qu’il accomplissait son devoir religieux en assassinant des prostituées dans les rues de Mashhad. Ce qui est troublant ici, c’est que meurtrier n’est pas un type manipulateur et dégage même une certaine honnêteté. Sans pour autant approuver ses actes, cela rend son histoire et son personnage plus complexes qu’on ne pourrait le penser. Ce film n’aborde pas la dimension énigmatique d’un tueur en série, mais la banalité de l’existence de Saeed, garçon fruste et sans relief. Ce qui crée la polémique, c’est que le réalisateur a choisi de nous montrer plusieurs des meurtres en gros plans, dans les moindres détails et dans la durée. Etait-ce vraiment indispensable à la compréhension psychologique du tueur ? Abbasi pense que oui. Le débat est ouvert.
Côté casting, on est gâtés. Cannes a décerné son Prix d’interprétation féminine à Zar Amir Ebrahimi. Mais, celui qui donne tout l’intérêt à cette histoire, le formidable Mehdi Bajestani, qui, même si le tournage eu lieu en Jordanie – pour des raisons que vous devinez aisément -, a pris des risques en incarnant ce tueur de femmes. J’ajouterai à ce haut d’affiche le très bon Arash Ashtiani. Un dernier mot : encore une fois, les distributeurs hexagonaux se sont plantés dans les grandes largeurs avec ce titre d’une banalité à pleurer, surtout quand on sait que l’original, Holy Spider, pouvait se traduire par sainte Araignée voire Araignée divine, ce qui avait tout de même une autre allure. Quoi qu’on en pense, il reste un constat terrifiant sur la condition des femmes en Iran. Un drame qui en dit autant sur le fanatisme de l’acte que l’état moral de la société dans laquelle – et même pour laquelle – il agit. Insoutenable mais tellement utile.