"J'ai détesté, j'ai rien compris."
C’est les premiers mots que j’ai entendus après la fin du film, visiblement le groupe de jeunes devant moi aurait mieux fait d’aller voir Evil Dead Rise, là ils auraient eu une chance de comprendre. Je parle d’eux parce que le type juste devant était beaucoup trop grand et m’a empêché de profiter des sous-titres tout le film, mais plus généralement, Beau is Afraid est un film clivant. Du genre qu’on aime ou qu’on déteste, tout le monde semble être d’accord sur ce point.
Comment ca marche ?
Le film s’éloigne beaucoup des schémas narratifs classiques, si la quête du protagoniste est simple et exposée depuis le début « rendre visite à sa mère », il n’évoluera pas, sera la plupart du temps victime des situations et non acteur, passera son temps à chouiner, s’angoisser et à raison.
La toute première scène est un point de vue d’un accouchement, on va donc suivre le film à travers les yeux de Beau et les toutes premières lignes de dialogues sont un échange entre sa mère et le docteur qui la fait accoucher. À peine sorti du ventre de sa mère, Beau ne pleure pas, sa mère s’en inquiète, le docteur lui donne une tape sur le cul, ça y est il pleure, son existence commence dans l’angoisse et la souffrance.
J'angoisse pendant trois heure, ca tourne mal, POV.
Comme le film nous montre l'histoire de Beau de son point de vue, on peut donc accepter de ne pas prendre littéralement ce qu’il nous montre, ce qu’on voit c’est ce que Beau ressent, et c’est assez clair dans la toute première partie. Il craint de s’ouvrir à son thérapeute, de mal prendre ses médicaments, qu’on l’arrête pour lui demander de l’argent, que des araignées mortelles se cachent sous son canapé, tout, jusqu’au point où aller acheter une bouteille d’eau dans l’épicerie d’en face soit pour lui une épreuve digne d’une charge de poilu en 14. Est-ce que tout ce qui se passe à l’écran est vrai ? Certainement pas, mais c’est ce que Beau ressent et ce que le spectateur doit ressentir avec lui. Le procédé n’est pas nouveau, des films comme Mulholland Drive, Le sixième sens, Les Autres ou Fight Club nous font suivre l’histoire du point de vue de personnages qui ne vivent « pas tout à fait » dans la réalité, mais à l’inverse de ces exemples, Beau is Afraid n’utilise pas ce procédé pour déboucher sur un twist final orgasmique. Il doit être vécu comme l’expérience d’un anxieux chronique, qui cristallise les angoisses de notre temps.
Merci Ari
Ce que j’aime particulièrement avec Aster, c’est que ses films gagnent en qualité après chaque revisionnage, les détails cachés d'Hérédité, les subtilités de Midsommar, Beau est sans doute le meilleur exemple, car en sortant de la projection, on est sûr d’une chose, c’est de ne pas avoir tout compris. Il y a à boire et à manger, plusieurs pistes d’interprétation, plusieurs discours en même temps sur le film.
Alors pourquoi tant de haine ? Le film est très long, tous ces passages n'ont pas la même intensité. Si on ne comprend pas ou n'adhère pas au geste d'Aster, on va en effet se faire chier pendant trois heures et c'est regrettable, mais d'un autre côté je trouve ça super. Un réalisateur aussi talentueux que lui qui ose faire des films qui divisent à ce point, c'est un vrai bijou.
Disappointment Boulevard
Rappelons-nous que le montage original du film durait quatre heures, et que son titre était Disappointment Boulevard. Le film est raconté par Beau (Joaquin Phoenix est d'ailleurs très bon, mais ça on s'en doutait), la déception est pour lui mais le spectateur la partage et le final est clair là-dessus. Vous vous souvenez du Happy Ending d'Hérédité ou celui de Midsommar ? Moi non plus, et ici une chose est sûre, on reste sur le cul, déçu ou exalté. Non décidément, Beau is Afraid ne plaira pas à tout le monde. Ces nombreuses références mythologiques, psychologiques ou cinématographiques peuvent vous passer bien au-dessus de la tête sans vous empêcher d'apprécier l'expérience, mais même en ayant toutes les clés, si vous n'adhérez pas au projet, vous serez victime vous aussi du Boulevard de la Déception qu'est ce film chaotique, fou et génial.
ps: je suis vous conseille la vidéo d'écran large "Vous n'êtes pas prêts pour ce film complétement taré" qui, malgrès son titre nul, est très juste.