Ari Aster, ultime espoir du cinéma fantastique américain (avec Robert Eggers), vient peut-être de se suicider. Commercialement, sûrement. Médiatiquement, sans doute. Artistiquement, on verra, car ‘Beau is afraid’ suscite des avis tranchés, entre ceux qui y voient l’oeuvre-somme d’un cinéaste qui a commis un certain nombre de courts avant de pouvoir tourner son premier long, et ceux qui le perçoivent comme un caprice d’enfant gâté, à qui on a donné un gros budget et l’autorisation de faire n’importe quoi. Il est certain qu’étaler sur trois heures l’histoire d’un type qui cherche à rejoindre le domicile maternel n’était pas la meilleure façon de se vendre mais…hé, on parle d’Ari Aster, pas d’un quelconque mercenaire en charge du dernier Marvel. Surtout que ‘Beau is afraid’ commence fort, très fort : sa première section - quarante cinq minutes au doigt mouillé - est un authentique chef d’oeuvre, un instantané du quotidien d’un névrosé, confronté à un monde menaçant, absurde et déformé par sa paranoïa. A ma grande surprise, j’ai constaté que pas mal de spectateurs pensaient que le personnage vit dans un quartier vraiment dangereux…mais non, absolument pas ! Personne ne sait à quoi peut bien ressembler ce quartier et on s’en fiche royalement : pour Beau, cet endroit, c’est l’enfer sur terre, incompréhensible, menaçant où les gens agissent et parlent sans logique apparente, où les événements surviennent sans qu’on puisse se l’expliquer, ne laissant comme seule échappatoire que de s’y résigner. Quarante cinq minutes plus tard, sa décision de partir étant prise, Beau se retrouvé blessé et soigné dans une famille anormalement bienveillante…et ce sera comme ça jusqu’à la fin du film, succession de transitions qui échappent au sens commun et de ruptures brutales et grotesques auxquelles le spectateur, lui aussi, ne peut que se résigner. C’est que l’odyssée de cet anti-héros n’est peut-être même pas réelle si on y réfléchit deux minutes…mais qui sait ?. Les seuls qui comprendront précisément, dans leur chair, le calvaire de ce personnage seront ceux qui sont eux-mêmes totalement flippés par le monde qui les entoure…et ils se priveront de l’humour noir, de tout évidence l’oeuvre d’un cruel démiurge, qui imprègne la plupart des situations. Bien entendu, sur près de trois heures, il y a des longueurs, des séquences un peu dispensables, que Ari Aster étire, sans doute consciemment, jusqu’à ce qu’elles deviennent irritantes, des creux, des dialogues qui n’en finissent pas C’est inévitable…mais il y aura toujours une surprise grotesque, dérangeante, totalement cintrée, pour relancer l’intérêt du spectateur. De toute façon, dans un paysage hollywoodien assez morne où les meilleurs films le sont souvent parce qu’ils sont parfaitement calibrés, ‘Beau is afraid’ fait figure d’éléphant blanc. Depuis combien de temps un film américain n’était-il pas parvenu à surprendre, déranger et stimuler à ce point ? ‘Midsommar’ ? ‘Tenet’ (même si je n’y ai toujours rien compris) ? C’était quand la dernière fois qu’on s’est dit qu’on n’aurait peut-être pas dû boire ceci et fumer ça avant de regarder la chose ? ‘Under the silver lake’, peut-être ? Il est difficile de croire que ‘Beau is afraid’ ne lève pas le voile, ici ou là et même seulement en partie, sur les propres obsessions et fixettes de Ari Aster, d’ailleurs déjà perceptibles dans ses deux précédents films. Apparemment lassé de devoir passer par les poncifs obligatoires du film d’épouvante, Aster vient donc, en toute liberté, d’accoucher d’un mutant résolument inclassable, chaotique et irréel, qui laissera sur le bas côté de la route les spectateurs qu’il n’aura pas rebuté instantanément…mais dans lequel il semble au moins avoir décidé de faire ressortir sa notion très personnelle de l’humour.. Par chance, on dirait que cette dernière s’approche très fort de la mienne…!