C’est en premier l’excellent article du Monde sur Marie Dumora et son film « Loin de vous j’ai grandi » et le fait que ce film se passe dans la vallée de la Bruche, et à Schirmeck , région que je connais bien pour y avoir passé de nombreuses vacances, qui n’ont conduit au Saint André des Arts, La séance précédente, un groupe d’élève éducateurs avait assisté à la projection et en fin de séance , la réalisatrice est venue échanger quelques mots…Marie Dumora suit depuis une vingtaine d’années, une grande, brutale et merveilleuse famille Yéniche, et dans ses films, le personnage d'un film l'amène vers le suivant comme le ferait un fil d'Ariane, si bien qu'il n'est pas rare de le retrouver quelques années plus tard d'un film à l’autre dans ce qui est devenu une sorte de saga documentaire où l’intime relie à l’universel, au mythe, au romanesque et aux autres….depuis « Avec ou sans toi » puis « Je voudrais aimé personne » la réalisatrice suit les membres de la famille Muller…des yéniches…une communauté semi nomade, d’Europe centrale, et aux origines variables, parfois injustement assimilés aux Roms, même s’ils partagent un mode de vie proche, sédentarisation récente, et exercent les mêmes métiers , ferrailleurs, vanniers, rémouleurs…cette communauté a révélé quelques célébrités, du milieu, comme les frères Homec, des boxeurs comme Christophe Dettinger, Lucien Norcy, des footballeurs comme François Remetter , Johny Léonni et Antoine Griezmann, des chanteurs comme Stéphane Eicher, Franz Bauer…. Pour revenir à la famille Muller, les grands parents se sont rencontrés au Struthof où ils ont été déportés par les nazis comme les tsiganes et les juifs….S’étant échappés, ils ont bâti une grande famille de huit enfants…Dans un précédent documentaire on faisait la connaissance des sœurs Sabrina et Melinda Muller qui ont, elles-mêmes grandi en foyer…Là Marie Dumora s’attache au jeune Nicolas, placé au foyer Oberlin de Schirmeck -La Broque depuis son jeune âge, sa mère l’ayant eu à l’âge de 15 ans…Chaque week-end il retourne chez sa mère , réinstallée avec un ferrailleur….Marie Dumora, ne juge pas, laisse la place aux dialogues…porte un regard bienveillant sur cette famille, attentif à ce jeune garçon écartelé entre deux foyers, sa mère et l’institution. C’est un garçon qui comme le remarque sa mère, a plutôt de bonnes notes, ne fait pas beaucoup de conneries même s’il fugue une fois ou deux, qui a pour ami Saef, jeune tunisien venu par la mer en ayant laissé sa famille au pays, qui lit l’Odyssée et L’appel de la forêt et écoute de la musique classique, qui aime les longues promenades …qui suit attentivement les observations astrologiques d’un brave Géotrouvetou de Russ, la ville voisine, qui a installé dans sa maison un observatoire fait de bric et de broc. Marie Dumora a inclus dans son film des extraits d’un précédent, on saute du baptême de Nicolas à celui d’une quatrième sœur…La grande question reste celle du devenir…comment éviter de reproduire le destin familial d’un milieu précaire, à la lisière d’une délinquance que le montage laisse délibérément hors champ, comment échapper aux déterminismes sociaux et historiques… Marie Dumora sait filmer l’intime avec une infinie justesse, sans forcer le trait ou à l’inverse se détourner de la dureté de certaines situations. Toujours parfaitement à sa place, elle signe une œuvre aussi émouvante qu’attachante ….mais chichement distribué ( moins de 6 salles en région parisienne)