Le film nous raconte une grande partie de la vie d’un homme, John Nash.. Mathématicien de génie, John Nash a traversé l’existence courbé sous le poids d’une étrange maladie. La paranoïa, alliée à la schizophrénie, l’a en effet enfermé très tôt dans un monde infernal, donnant une tout autre orientation à une carrière pourtant promise à un brillant avenir. Entre des passages remarqués au sein de prestigieuses universités et des séjours dans de terrifiants hôpitaux psychiatriques, son parcours aura été d’une richesse et d’une diversité sans pareilles. Tout au long de son film, le metteur en scène a pris le parti de coller au plus près à son personnage principal, brillamment interprété par Russel Crowe. Investissant littéralement la peau du scientifique, le comédien nous offre ici une nouvelle illustration de ses talents de caméléon. Ron Howard a en effet exprimé, outre une volonté manifeste de participer activement à la course effrénée aux Oscars, le désir de montrer avec tout le réalisme dont il était capable, les étapes de la vie et la descente aux enfers de John Nash. La scène d’ouverture parle d’elle-même et résume presque tout le film en quelques secondes.
Dans une université qui cultive les fleurons scientifiques de la nation, c’est la journée d’accueil des nouveaux étudiants. Rassemblés dans une grande salle de réunion, les jeunes scientifiques écoutent attentivement le discours de bienvenue qu’un membre éminent de l’université leur prodigue. John Nash fait partie du groupe, il est là, prostré au fond de la salle, le regard craintif et fuyant. Dans la scène suivante, il évolue au milieu de ses pairs, tout en parvenant à nous donner l’impression d’être à l’écart.
Mal à l’aise en public, fuyant les mondanités, le jeune mathématicien se retranche bien souvent derrière une légère agressivité. En quelques scènes, le metteur en scène a introduit son sujet et fourni les principales clés permettant de comprendre ce qui va suivre. Parfois trop sûr de sa supériorité, John Nash pouvait se montrer arrogant. Cette arrogance, Ron Howard la fait ressortir à plusieurs reprises, afin de mieux montrer le sentiment d’infériorité qu’elle tente de masquer. Car John Nash ne sait pas exprimer la gamme des sentiments humains. Touchant et monstrueux à la fois, il recherche l’inspiration.
Sa quête de créativité va de paire avec son inadaptation sociale. Isolé, mais pas mis à l’écart, il a très vite fait le choix d’une très grande autonomie à l’intérieur de la structure qui l’accueille. L’université sera le creuset au sein duquel il développera et son génie et sa schizophrénie. Le metteur en scène s’est a priori attaqué à un sujet nébuleux (la vie d’un mathématicien qui fait « craquer » des codes et dont les travaux seront adaptés à l’économie mondiale) dont le caractère abstrait pourrait dérouter. Mais en concentrant sa caméra sur le comportement de son personnage principal, humainement inadapté, il parvient à canaliser notre attention pendant les deux heures quinze que dure le film.
Débauché par l’administration américaine, John Nash va ensuite poursuivre ses travaux, tout en étant dérouté par l’attention et la surveillance qu’il suscite. En intégrant un monde qui n’a que faire des sentiments humains, il va donner une nouvelle facette à sa maladie. Il va en effet passer de schizophrène à schizophrène à tendance paranoïaque, imaginant un contexte d’espionnage auquel seraient liées ses activités de recherche. On remarque d’ailleurs que c’est lorsqu’il s’ouvre au monde et aux sentiments que le scientifique découvre ses propres faiblesses. S’humanisant alors quelque peu, il s’avère alors incapable de faire face à la tempête qui couve dans son esprit.
La musique est à la fois discrète et irréelle, notamment lors de la scène de la poursuite-coups de feu, et éclaire les scènes choc dans une bien étrange lumière. En créant une sorte de décalage, elle leur donne une nouvelle perspective. Quant à la mise en scène, elle serre de près son sujet et ne laisse pas la place au moindre blanc. Efficace, elle nous offre une première partie presque insouciante, qui prêt parfois à sourire, alors que la seconde moitié du film nous plonge dans un univers nettement plus sombre. Lorsque John Nash, à un tournant de l’histoire, prend conscience de sa schizophrénie, il n’est pas sauvé pour autant. Il a beau avoir identifié sa folie, celle-ci refait surface par moments, réussissant à le submerger à nouveau.
Arborant alternativement des expressions enfantines, voire attendrissantes, et des tics caricaturaux, Russel Crowe incarne son personnage à la perfection, tandis que Jennifer Connelly interprète un peu en retrait l’épouse de John Nash. Face à eux, il y a un Paul Bettany visiblement aussi inspiré que dans Chevalier et un Ed Harris qui se plaît à incarner un personnage énigmatique et sombre – le rôle de ces derniers n’est d’ailleurs pas sans surprises…-, sans oublier Christopher Plummer en inquiétant chef de clinique psychiatrique.
Ron Howard signe avec U