L’immigration est une affaire qui continue de préoccuper les pays d’accueil, qui n’ont pas le temps ni les moyens de gérer les vagues d’arrivée, qui se cumulent sans cesse. Ben Sharrock, qui s’est déjà familiarisé avec des camps de réfugiés, a pour idée de rendre le portrait de ces personnes accessibles. Il est ici pour parler d’humains, derrière des statuts sociaux, qui ne correspondent qu’à des critères politiques qu’ils sont obligés de porter. L’étiquette porte ainsi atteinte à la véritable personnalité de ces voyageurs inattendus, que l’on préférera protéger ou diaboliser. Un simple regard sur la situation pourrait ainsi dévoiler l’envers du décor, dans une démarche qui ne manque pas d’humour et d’humanité.
Rendez-vous dans les îles Uists, aux abords de l’Écosse, là où l’horizon est une mer de nuages ou alors de plaines sauvages. C’est dans ce genre de lieu qu’Omar (Amir El-Masry), ainsi que d’autres réfugiés, attendent leur demande d’asile, afin de pouvoir se projeter vers un nouvel avenir. C’est alors que commence la lente errance du jeune syrien, immobile, toute comme le reste du décor. Il a beau se promener ou chercher un moyen de s’évader par les écrans, c’est toujours vers son propre passé qu’on le ramène. Il ne s’agit pas uniquement de faire comprendre que de couper les liens avec sa famille est difficile, et pourtant, c’est une fatalité à laquelle il devra faire face, si l’on accède à sa demande. Omar est prêt à marcher plusieurs bornes, sous la menace de la pluie pour se réconforter sa mère ou se réconforter lui-même sur son autonomie. Il doit donc en faire le deuil, malgré ses efforts qui le poussent à ramener tout ce qu’il peut de chez lui, que ce soit une recette familiale ou un instrument de musique.
N'y aurait-il donc pas un équilibre entre tout cela ? À travers son oud, il peut espérer retrouver son identité et une voix plus imposante, qui l’intégrerait une fois pour toutes dans une nacelle vers le sommet. Quel est ce sommet ? Il ne faut pas s’attendre à rêver, car la réalité viendra réveiller brutalement des sensations de frustration. Même lorsqu’il semble indispensable de se plier aux démarches pour une demande d’emploi, la triste nouvelle est que le labeur sera le même pour tous, à l’ombre d’une vie normale. Et cette normalité se lit approximativement à travers la série américaine « Friends », où les colocataires cherchent une certaine complicité et un certain confort. Mais dans une imitation hasardeuse des mœurs de la série, ils en viennent à reproduire ce qu’il y a de plus désolant dans la sitcom, où les rires superposés n’existent plus, car c’est bien le silence qui résonne périodiquement dans leur esprit brumeux.
À l’image d’une grand-mère qui passe avec le drapeau écossais sur son fauteuil, ou encore des éducateurs qui peinent à enseigner la bonne conduite en public ou lors d’entretien d’embauche, le cinéaste espagnol démontre une certaine insouciance et naïveté de la part des locaux. L’exil n’est pas un privilège ni un choix et la majorité justifie ce propos avec une détermination silencieuse. Omar doit se créer une bulle au sein de l’unique cabine téléphonique du coin ou autour d’un feu, pour retrouver un peu d’espoir. « Limbo » en accorde assez à ses personnages, d’une richesse folle, mais qui n’auront pas tous le loisir de séjourner de ce côté-ci de la frontière.