A l’image de son personnage principal, le cinéma de Kar-Wai avec 2046 n’arrive plus à avancer, figé dans le passé de son œuvre qu’il n’arrive pas à renouveler. Plus encore et loin de faire du sur-place, ce qui ne serait pas si mal étant donnée la qualité de son œuvre précédente (In the mood for love), Kar-Wai fait marche arrière, perd de la vitesse, pour tomber dans le feuilleton, auquel son héros s’est d’ailleurs lui aussi dédié, ayant abandonné le roman d’aventures pour le roman pornographique. Le réalisateur se met en scène lui-même dans le protagoniste du film. Or, ce personnage se trouve avoir toutes les flétrissures de Dorian Gray, âme hideuse aux mille péchés, individu repoussant, qui dégoûte et que la prétendue rédemption finale ne parvient pas à exhausser. Le film paraîtra également indigeste à ceux qui connaissent l’œuvre précédente de Kar-Wai, à laquelle il emprunte différents procédés formels, notamment de répétition, qui restent ici sans effet, si l’on en excepte l’irritation qu’ils provoquent dès leur apparition (comme cette histoire de trou dans l’arbre qui agace par son absence totale de contextualisation). Kar-Wai fait dire à son personnage le style qu’il revendique pour son cinéma ou du moins pour ce film : « érotique mais pas pornographique ». En réalité, 2046 ne touche pas plus à l’un qu’à l’autre, car toute histoire d’amour n’est pas érotique pour ne pas être figurative ; c’est le cas dans ce film qui, comme le héros, perd toutes les femmes à défaut d’en choisir et de se concentrer sur une seule. 2046 est la suite ratée de In the mood for love, ou plutôt, il en est l’antithèse : accumulant errance narrative et approximation formelle, 2046 est aussi embrouillé que son personnage principal et, comme ce dernier, se condamne à rester une chose du passé. La symbolique du film, à coups de chiffres, de paraboles et d’hypotyposes est pompeuse et suffocante. Par ailleurs, tous ces personnages de femmes invraisemblables, sans la moindre originalité créative, s’enchaînent sans raison ou avec un semblant de raison insuffisant à fonder leur nécessité ou leur importance. Le film entier est conçu comme un jeu de hasard : de nombreux possibles, parmi lesquels un succès improbable, et s’achève comme tel : un échec prévisible, où l’on perd toutes ses mises.