Comment trouver une interprétation cohérente à ce délire, sinon chargée de mysticisme, de confusion, voire d'angoissants contresens ?
2046, c'est comme le bruit d'une vague qui recule pour revenir encore et encore, inlassablement.
C'est le rêve de son héros, ce sont ses fantasmes érotiques, ses regrets, ses peines et ses désirs.
C'est une lagune perdue au fond des souvenirs.
C'est un opéra sensuel qui côtoie la folie. La folie des sens, et la folie des mots.
Wong Kar-Wai, toujours cette incompréhensible fascination pour des images aux couleurs ensorcelantes et aux musiques lancinantes. "Enivrez-vous de Cinéma", aurait pu dire Baudelaire. Wong Kar-Wai a répondu à cette délicieuse et terrible injonction.
Que ce soit dans la Hong-Kong des années 60 ou dans un monde futuriste aux accents fiévreux d'un mouvement incessant, où se profile le relent étouffant de souvenirs par des regards silencieux, des sentiments confus, des visages que l'on retrouve.
Dans le récit stable de cet hôtel miteux où l'on ne fait que croiser une dizaine de personnages fidèles, on fait la connaissance des femmes du héros, non par des visages, mais par leurs pieds : qu'ils dansent ou qu'ils s'affolent de colère, s'agit-il d'un fétichisme de la part du cinéaste ? Le héros lui-même n'a d'abord que les accents d'une voix qui récite du japonais ou bien s'énerve contre des voisins trop bruyants.
D'où vient donc le talent de Wong Kar-Wai, lui qui n'utilise que la moitié du champ de sa caméra, voire le tiers seulement ? C'est qu'il parvient à capter l'infime détail dans le regard, dans le geste ou sur la bouche, qui requiert notre intérêt, comme si, par un rêve entrebâillé, il nous invitait à rejoindre le film. Sa narration est faite de leitmotivs, de personnages s'attardant sur la bouffée d'une cigarette, de discussions avec le vent sur le balcon de l'hôtel.
C'est aussi, et peut-être surtout, sa capacité à tirer un émerveillement coloré d'une idée toute simple et si banale, que ce soit une femme marchant dans la rue, souriant à sa porte, giflant un homme, et permet à la plume de l'écrivain de donner naissance à des souvenirs voluptueux.