Sorti à la rentrée 2021 sur le service de streaming Netflix, cette longue critique de "8 rue de l'humanité" traitera donc d'une petite comédie de la vie humaine se déroulant durant le premier confinement, dans un quasi-huit-clos prenant place dans un petit immeuble parisien proche de Bastille à Paris, sur laquelle je n'ai pas grand-chose à dire. Mais alors, pourquoi proposer une longue critique si j'ai peu de chose à dire ? Tout simplement parce que plus que de parler du film, je souhaiterais vous parler de son réalisateur, le bien connu Danny Boon.
Aimé, conspué, moqué, les avis sont nombreux pour porter une opinion sur ce comique-acteur-réalisateur, des avis qui selon moi, trop souvent, ne cherchent pas bien loin et se base sur une opinion populaire construite sur le besoin de juger tout ce qui a du succès. N'y allons pas par quatre chemins, je pense que Danny Boon est l'un des meilleurs réalisateur de comédies de ces 15 dernières années. Pour ceux qui sont encore là et qui se demandent comment je peux argumenter une telle opinion, ne perdons pas de temps et profitons de la sortie de "8 rue de l'humanité" pour que je vous exprime mon opinion sur ce trublion plus complexe qu'on ne le pense qu'est Danny Boon.
Parler des films que je n'aime pas de Danny Boon va s'avérer simple, puisque ce sont ses deux premiers qui sont concernés. Il est difficile dans ses débuts cinématographiques de trouver quelque chose de bien intéressant à manger, tant tout est trop timide, manque d'une ambition visible, et se contente de faire de la comédie assez classique. Certes, certains de ses thèmes comme la différence culturelle et sociale et comment tout cela s'oppose sur des apprioris en oubliant ce qui nous unit sont présents, mais difficile de trouver ça bien original dans le paysage français et ni l'émotion, ni la réalisation n'élève le tout. Si son premier film, "La maison du bonheur" adapté de sa propre pièce de théâtre recevra un accueil modeste, difficile de dire le contraire de son deuxième film, la bien connue aventure d'un employé muté dans le nord de la France qui accumulera 20 489 303 d'entrées, devenant le film français ayant fait le plus d'entrée en France de tous les temps.
Le succès de "Bienvenue chez les ch'tis" offrira à Danny Boon une carte blanche quasi illimitée pour chacun de ses films et des budgets conséquents pour faire de la comédie française. Et selon moi, c'est ici que tout s'est joué : si Boon aurait pu partir dans la direction choisie par Phillipe de Chauveron après "qu'est ce qu'on a fait au bon Dieu", à savoir de régurgiter la même soupe insolente envers le public sans jamais faire évoluer ses films, voir en les rendant de plus en plus feignants artistiquement, eh bien coup de théâtre, ce ne fut pas le cas. Dès "Rien à déclarer", on sent l'éveil d'un réalisateur, un réalisateur généreux souhaitant montrer de réelles ambitions pour ses futurs projets en y mettant constamment du cœur à l'ouvrage. Rien de bien compliqué à expliquer, puisque cela tient en 3 points. Nous allons d'ailleurs en profiter pour aborder "8 rue de l'humanité", puisque après tout vous êtes là pour ça.
D'abord, Boon à envie que son film soit vu, qu'il touche le grand public. La solution selon Phillipe de Chauveron serait de ne jamais proposer rien de neuf, d'enchaîner les suites et de répéter le même schéma comique usé jusqu'à l'écœurement. Boon veut faire les choses différemment, mais même quand on s'appelle Dany Boon, ce n'est pas suffisant pour s'assurer des salles pleines. Pour remédier à cela tout en proposant de nouvelles choses dans son cinéma, Boon va utiliser une stratégie que je nomme "Le Marketing Piégé". On y reviendra plus loin, mais les nouveaux films de Danny Boon vont s'amuser à mélanger la comédie populaire et le drame humain pour qu'en ressorte un équilibre. Cependant, que ce soit dans les bandes-annonces, sur les posters où dans la communication, Boon va constamment mettre en valeur l'aspect grosse comédie en récupérant les scènes les plus exagérées et tarte à la crème. Grâce à cela, il peut s'assurer auprès du grand public un bon lancement et démarrer un bouche à oreille autour de ses films. Le cas le plus marquant de cette stratégie est définitivement "Supercondriaque" : vendu comme une banale comédie autour de l'angoisse d'être malade, ce n'est qu'une fois dans la salle que le film nous révèle que le vrai sujet sera la question des migrants, avec un ressort comique de l'imposteur costumé et un troisième acte s'engageant sur le terrain du film d'action avec un foutu TANK. Vous pouvez d'ailleurs retrouver la même stratégie avec "Un peu, beaucoup, aveuglément" de Clovis Cornillac.
Dans le cas de "8 rue de l'humanité", si en terme de posters où de communication, Netflix lui a mâché le job, la bande-annonce se révèle à nouveau un joli petit piège, ne mettant en avant principalement que François Damiens et Danny Boon, les deux personnages les plus exagérés du film. Une fois devant, on assiste au développement des autres intrigues, certaines purement comiques, d'autres plus nuancés comme celles de Diego et surtout celle de Claire, la femme du personnage de Danny Boon, interprétée par une solide Laurence Arné qui co-écrit le film avec son mari. Faites le test, regardez un film de Danny Boon puis sa bande-annonce, et vous vous rendrez compte que l'astuce, sans être révolutionnaire, est diablement efficace.
Ce qui nous amène directement au deuxième point, à savoir l'émotion. Danny Boon prend toujours un soin particulier à développer la comédie, notamment avec beaucoup de gags très visuels, sans oublier pour autant de développer des problématiques amenant à des moments d'émotions parfois un peu niais, parfois foutrement efficaces. On n'est pas dans un dégueuli bête et méchant de comédie abrutissante, on utilise au contraire le rire pour préparer le terrain avant de faire exploser la scène émotionnelle qui attendait dans le fond. Sérieux pour un réalisateur aussi "simplet", expliquez-moi comment on se retrouve avec deux scènes dans sa filmographie impliquant un personnage en braquant un autre avec un fusil sans aucune notion de comédie dans chaque scène, simplement la tension et la peur qu'une balle s'échappe. Si Danny Boon dans le rôle de Martin est un moteur de situations comiques pour "8 rue de l'humanité", c'est pour mieux installer le burn-out progressif de sa femme (Laurence Arné) qui, déstabilisée par la situation et l'angoisse commune, se pousse progressivement vers une remise en question. Je porte le même avis sur le personnage de lourdeau de Tony (François Damiens) et celui de Diego le concierge (Jorge Calvo). Certes, on n'est pas sur un film choral où tous les scénarios volent à la même hauteur, et certaines intrigues comme le jeune couple où le médecin sont assez tiède et convenu. Cependant, difficile de dire en finissant le film que son but était uniquement de nous faire rire bêtement. Avec son grand cœur, Boon veut nous rappeler que le confinement était l'occasion de ne plus nous isoler, d'apprendre à connaître les autres et à nous connaître nous-même, et d'apprendre que malgré nos portes d'entrées, nos immeubles, nos maisons, nous restons les membres d'une grande communauté. On appréciera où non son point de vue, bien entendu.
Terminons enfin par mon petit plaisir personnel, à savoir la réalisation. Certes, on est loin de la symphonie accomplie d'un film de Albert Dupontel, mais difficile de nier que Danny Boon ne prend pas un certain plaisir à développer au cours de ses films sa grammaire visuelle. Entre les effets spéciaux (le plan p.o.v insecte dans "Supercondriaque" , les mouvements de caméra réels ou virtuels, le soin apporté aux décors, un film de Danny Boon c'est loin d'être désagréable à regarder, et n'importe lequel de ses films post-"bienvenue chez les ch'tis" dépasse l'ambition visuelle de la plupart des comédies françaises sortant chaque année. Pour "8 rue de l'humanité", Boon se veut cependant plus sage sans oublier de travailler son image : travaillant sur la verticalité de l'immeuble, il se paye de beaux plans grues de toute beauté, une transition invisible à travers une fenêtre, et une ouverture ainsi qu'une séquence vers la fin du film utilisant des valeurs aériennes pour rendre compte à quel point nous nous sommes retrouvé au milieu du vide. Même en intérieur, il travaille parfois l'absence et la distance pour créer une grammaire visuelle de cet événement que nous avons vécu et que nous vivons encore.
C'est sûrement d'ailleurs ce qui l'a plus intéressé en choisissant de faire une comédie sur le confinement : face à une situation aussi inédite, il y a vu une occasion de récupérer l'inédit pour voir comment construire de l'humour et de l'émotion sur cette base vécue par le monde entier. Le résultat est certes parfois timide, parfois bancal, et l'émotion ne sera pas du goût de tout le monde. "8 rue de l'humanité" n'est pas mon meilleur Danny Boon préféré, ce n'est pas celui sur lequel j'ai le plus de choses à dire, mais il était une parfaite occasion pour moi de pouvoir écrire quelque part tout ce que je pense de la cinématographie d'un réalisateur qui, je trouve est injustement jugé. En espérant maintenant revoir Danny Boon et son prochain film à la place qu'ils méritent selon moi, à savoir sur un écran de cinéma.