Réussite totale pour Roman Polanski, qui nous plonge dans l’enfer du ghetto de Varsovie pendant deux heures et demie. Le film raconte l’histoire du ghetto de Varsovie à travers la petite histoire : celle du pianiste juif Szpilman, qui a survécu à ces années noires et qui a publié son autobiographie par la suite. Roman Polanski réalise là un film très personnel, puisque lui-même a du survivre dans le ghetto de Cracovie, et a échappé à la déportation contrairement au reste de sa famille. Sans surprise, Polanski raconte cette histoire sans faire de sensationnalisme, hormis quelques effets trash qui n’étaient pas indispensables. La première partie du film dépeint la dégradation des conditions de vie des juifs. La famille de Szpilman est d’abord irritée par cette discrimination, puis tente de conserver sa dignité, puis finit par être déportée. Le héros parle peu, exprime peu ses émotions, à l’image d’un film cru qui se déroule comme une fatalité, comme si rien ne pouvait être fait pour empêcher le pire. La reconstitution historique est réussie, la photographie est absolument sublime. L’image est sans doute l’atout principal du film. Chaque image est soignée, lumineuse, riche, sans pour autant donner une impression de trop plein. Pour ce qui est du scénario, le film connaît plusieurs ruptures de ton. La première partie est assez académique. La deuxième est plus tournée sur la solitude de Szpilman, la troisième est une errance lente et assez originale dans un film historique. Mais si le film de Polanski est si poignant, c’est aussi parce que sa conclusion est amère et cynique. On se rend compte que Szpilman survit uniquement parce que les gens sont aveuglés par son talent, et voit en lui plus qu’un individu parmi d’autres. A l’image du nazi qui le fait subsister à la fin de la guerre parce qu’il est amoureux de sa musique. On se pose alors une question : Peut-on continuer à vivre, quand on sait que notre survie est due à quelque chose d’abstrait qu’est le talent musical ? Certes, Szpilman a survécu, mais sur quoi a-t-il pu bâtir le reste de sa vie ? Sa famille est morte, sa survie n’est, en quelque sorte, pas méritée. Et surtout, ceux qui ont sauvé Szpilman ne sont-ils pas eux-mêmes, sans le vouloir, des fascistes ? Ils l’aident lui, et pas les autres, selon un critère arbitraire : le talent. Vaut-on mieux que les autres parce qu’on sait jouer du piano ? Polanski évite le piège de la reconstitution pour raconter une histoire qui interpelle, dérange et marque. Incontournable.