Thomas Salvador se passionne pour la montagne depuis l’adolescence et s'est rapidement mis à l’alpinisme. Au collège puis au lycée, à la question "profession envisagée ?", il répondait "guide de haute montagne, cinéaste, et cinéaste de haute montagne". Le cinéaste se rappelle :
"Ma première idée de long-métrage était naturellement un film de montagne. Je voulais proposer le film à Patrick Berhault, un alpiniste que j’adorais adolescent et avec qui je m’étais lié lors du tournage d’un documentaire pour Arte."
"Il y aurait joué son propre rôle, parti à la recherche d’un jeune alpiniste qui ne voulait plus redescendre des montagnes, que j’aurais moi- même interprété. Malheureusement, Patrick Berhault est mort en montagne quelques semaines avant le rendez- vous où j’allais lui proposer l’idée."
"C’était il y a presque 20 ans. J’ai mis du temps à me remettre de sa disparition, ainsi qu’à envisager un autre film. Après Vincent n'a pas d'écailles, j’ai décidé de revenir à mon film de montagne, en l’adaptant bien sûr à mes préoccupations du moment et à l’époque que nous vivons."
"J’ai vite su qu’il explorerait aussi une dimension fantastique, une rencontre avec l’inconnu, et la naissance d’un amour."
Thomas Salvador a préféré appeler les mystérieuses créatures les "lueurs", dans le but de les libérer des connotations associées au mot "créatures". Pour le réalisateur, ces lueurs étaient là bien avant l’homme, comme une forme de vie primitive, voire originelle :
"Toujours selon moi, elles vivent dans les montagnes jusqu’à ce qu’elles en soient délogées lors d’effondrements. Elles apparaissent au pied des parois écroulées, mais personne ne les voit car on ne reste pas sur les lieux d’un énorme éboulement..."
"Sauf Pierre, qui se trouve comme « appelé » par la montagne, autant qu’affecté par son effondrement. Il va même essayer de sauver une lueur en la libérant de sous un rocher. Puis il les suit chez elles, dans le cœur de la montagne, jusqu’à presque devenir lueur à son tour."
"Elles accueillent Pierre s’il désire les suivre, de même qu’elles le ramènent sur terre s’il veut revenir au monde des hommes. Ce qui les distingue de nous, c’est qu’elles ne cherchent pas à posséder et encore moins à conquérir", raconte le metteur en scène.
Thomas Salvador voulait que les "lueurs" soient très simples et minérales. Et surtout pas anthropomorphisées, pour qu’elles incarnent autant que possible un ailleurs, une autre forme de vie. Le réalisateur précise : "J’ai pensé à de la lave aussi."
"D’ailleurs, le granit des montagnes est une roche volcanique. Pour les représenter, j’ai eu l’idée d’éclairer des matières réfléchissantes, en donnant l’impression qu’elles produisent elles-mêmes ces éclats rouges et blancs."
"Le dispositif étant par contre difficilement transportable en haute montagne, nous les avons créées en 2 temps. Sur le tournage, pour produire l’interaction lumineuse avec le décor et le personnage, nous avons conçu des boules lumineuses rouges que nous déplacions avec de la ficelle."
"Et une fois le montage de ces séquences terminé, nous avons filmé les vraies lueurs en studio. Avec une marionnettiste, nous les avons manipulées en reproduisant le déplacement des boules lumineuses, avant de les intégrer dans les plans du tournage en montagne."
"Cette manière de les faire exister « à la main » permettait de créer un mouvement et un fourmillement lumineux aléatoire, si ce n’est organique, impossible à produire avec la 3D."
Thomas Salvador a une approche très physique et sensorielle du cinéma. Ses films parlent d’une confrontation au monde qui ne passe pas par les dialogues et la psychologie, mais par le rapport à l’espace, à la matière et au rythme.
"Il faut que ce que je raconte s’incarne et se matérialise le plus concrètement possible. C’est pour cela que je tiens à faire un maximum de choses réellement. C’est aussi pour cela que le travail corporel est central dans mon travail", explique-t-il.
La montagne change tout le temps et très vite, et Thomas Salvador voulait que le spectateur ressente cela. Pour être très mobile et réactif, le cinéaste a donc fait le choix d'avoir une équipe peu nombreuse, composée de cinq techniciens maximum. Il explique :
"Il faut être très humble en montagne, ne pas y aller en conquérant. Se laisser inviter d’une certaine manière. Quand il pleut en ville, on peut s’adapter, alors qu’au-dessus de 3000 mètres, la pluie devient de la neige, le vent une tempête et le brouillard sur un glacier rend le moindre pas dangereux."
"En bas, une petite équipe s’occupait de la logistique, mais en haut, il n’y avait que le chef opérateur, l’assistant caméra, le 1er assistant, la cheffe opératrice du son et les guides qui assuraient notre sécurité. Et pendant dix jours nous avons été seulement deux techniciens, l’opérateur escalade et moi..."
"Parce qu’on tournait dans des endroits où il était impossible d’aller avec le reste de l’équipe. Il faisait l’image et moi le son. Ce dispositif de tournage immersif, et la part de « vérité » qu’il produit, me semblait important pour ancrer la dimension fantastique du film dans un environnement authentique."
Le restaurant se situe à 3 800 mètres, où il y a 25% d’oxygène en moins et une chance sur huit d’avoir un mal aigu des montagnes. Tous les membres de l'équipe ont été très essoufflés et ont subi de fortes migraines pendant leur période d’acclimatation, mais tout s’est bien passé dans l’ensemble. Thomas Salvador se rappelle :
"Ces conditions de tournage produisent une multitude de petites altérations dans le jeu des acteurs, respirations profondes, légers grelottements, vigilance du regard etc., qui nourrissent les personnages. Je voulais que tout le monde vive une expérience, que le tournage soit une aventure, proche de celle que vit le héros."
"Le début du tournage a été contrarié par la météo. C’était dur de changer tout le temps de planning mais au bout de trois semaines l’équipe disait aux nouveaux venus « Vous faites un film qui s’appelle LA MONTAGNE, il faut faire avec ! » [rires]. Quelque chose de magique s’est produit entre l’équipe, les acteurs et la montagne."