Dans l'espoir de trouver l'inspiration pour une bonne histoire horrifique, Fred, un écrivain débutant, loue un chalet au fond des bois. Par hasard, il découvre que sa voisine n'est autre que Fanny Addie, la plus célèbre romancière en la matière du moment, venue elle aussi pour écrire en solitaire dans la forêt ! Une nuit, un orage coupe le courant dans les alentours et Fred accueille Fanny sous son toit, tous deux se mettent alors à se livrer à un concours d'histoires horrifiques pour s'effrayer mutuellement au coin du feu...
Audacieux est sans doute le qualificatif qui correspond le mieux à cet exercice de style très original à laquelle nous convie son auteur multi-tâches Josh Ruben (comme son personnage de Fred... mais en hyper-talentueux) pour son premier long-métrage ! Dans le huis-clos de cette cabane dans les bois pendant 1h40, "Scare Me" se résume en effet d'abord au caractère rudimentaire de son titre : observer et écouter deux personnages passionnés d'horreur se raconter des histoires dans le seul but de se faire peur.
Le parti pris sera probablement assez rebutant pour une partie du public, déçue de ne pas voir s'incarner à l'image ses récits autrement que par la mise en scène directe que choisissent d'en faire ses héros l'un pour l'autre, mais ceux qui y succomberont ne pourront que saluer sa superbe mise en abîme narrative mêlant le socle théâtral improvisé par ses protagonistes à une très habile maîtrise d'outils cinématographiques pour en décupler la puissance à l'écran. Que cela soit en matérialisant certains éléments issus de l'imagination des personnages dans les décors, en s'amusant à faire mine de pouvoir potentiellement franchir le quatrième mur à tout instant ou encore en considérant le montage comme un acteur à part entière du talent des conteurs du film, les astuces de réalisation de "Scare Me" font tout pour nous impliquer, avec brio, dans cette espèce de compétition narrative que se livrent les protagonistes et dans le rapport de forces qui s'insinue entre eux pour jauger leurs talents d'auteurs respectifs.
D'ailleurs, ce sont bien les joutes verbales entre Fred et Fanny, l'équivalent d'un David contre Goliath en termes de virtuosité dans leur domaine, qui sont le moteur de l'approche singulière du film. Par exemple, le premier duel d'histoires les opposant va servir à mettre en avant les faiblesses de Fred face à la domination écrasante de Fanny, capable de capter à elle seule notre attention complète par son inventivité là où ce pauvre Fred se contente simplement de recycler des poncifs de films ayant fait leurs preuves par le passé. Saluons au passage la prestation absolument géniale d'Aya Cash -de son tempo comique irrésistible à ses imitations glauques- que Josh Ruben (plus passif mais tout aussi bon) laisse intelligemment sur le devant de la scène en adéquation avec la personnalité de son rôle. Cette première passe d'armes entre les deux écrivains va définir les bases d'une logique relationnelle qui ne va jamais s'arrêter d'évoluer, en déteignant sur le pouvoir d'attraction de plus en en plus désinhibé de leurs récits mais aussi en créant de nouvelles dynamiques où chacun sera amené à être considéré autrement dans le regard de l'autre (et à réaliser la manière dont l'autre le considère). Les hauts et les bas passionnants de ce lien fluctant selon un large spectre de perceptions individuelles aboutiront sur un dénouement certes plus attendu mais forcément efficace dans sa logique méta de couvrir tous les tenants et aboutissants autour de la force d'une histoire et de persuasion de son auteur.
La seule grosse limite de "Scare Me" est peut-être de ne pas être aussi marquant que souhaité sur la teneur horrifique de ses récits, là encore celle-ci est surtout sublimée à chaque fois par les différents chemins narratifs choisis pour nous les rapporter. Néanmoins, même s'il utilise le terrain de l'horreur par son postulat et ses nombreuses/généreuses références afin d'effrayer principalement ses héros, le film est avant tout une satire très noire, jubilatoire et finalement très humaine sur une rivalité d'auteurs que Josh Ruben n'a de cesse d'amplifier en représentant la force (ou la faiblesse) de leurs mots à l'image. Dans tous les cas, c'est bien ce dernier qui sort grand victorieux de "Scare Me" et on a déjà hâte de voir ce conteur atypique s'atteler à un nouveau projet... qui sera d'ailleurs un film de loup-garou, Fred aurait apprécié l'ironie.