La Faute à Voltaire raconte les tribulations de Jallel, jeune immigré tunisien arrivant sur le sol français où il découvrira la vie en foyer. Au fil des rencontres il prendra conscience de la précarité de sa situation, il tombera sous le charme des femmes et connaîtra l'amitié, celle de personnes délaissés par la société. Une ode à la mixité, à la liberté et à ses petits riens qui font le bonheur, Abdellatif Kechiche, dont c'est le premier film, annonce déjà un style et une rigueur derrière la caméra qui ne cessera de croître durant sa carrière.
D'une constante recherche de vérité dans son travail, Kechiche dépeint la réalité du quotidien, des parcelles de vie dont il réussi à capter la justesse que ce soit en filmant les corps ou alors dans ses dialogues d'une authenticité rarement égalée, si ce n'est dans ses films suivants. Parce qu'on peut dire ce qu'on veut sur le gars, n'empêche qu'il filme les étreintes comme jamais, que se soit Adèle et Emma dans La Vie d'Adèle récemment où, de manière fantasmée ou non, ( on s'en fout c'est pas le débat qui importe ) elle s'envoient en l'air sans jamais tomber dans la pornographie. Quand on voit les caresses, ses corps qui s'enlacent, cette respiration qui se coupent, quand on prend conscience que le sexe est beau et que Kechiche nous renvoi cette réalité à la figure, sans aucune gêne et bien moi j'applaudis. Dans ce film, ce réalisateur sait déjà capter ça et j'aime voir les prémices de son cinéma qui prendra de l'ampleur par la suite notamment avec L'Esquive où la langue de Molière aura une importance tout aussi importante.
Les bon mots, le goût de la langue français, la beauté et surtout la valeur de celle-ci. Kechiche lui rend grâce à maintes reprises et vise juste. Quand je vois Sami Bouajila, acteur que j'affectionne, qui déclame Les Amours de Ronsard dans le métro parisien afin de vendre ses roses, y'a pas à discuter, c'est magnifique et on se tait. Et ça s'applique surtout aux répliques mêmes du film. Je ne sais pas si les comédiens improvisaient mais le phrasé de la vie de tous les jours est là. Si je me balade dans la rue et que je tend l'oreilles, nul doute que ce que j'entendrais serait aussi juste que dans ce film.
La réalisation de celui-ci par ailleurs pour son premier film reste sans esbroufes. A bas les maladresses, qui sont pourtant légions dans les débuts, ce mec ne commet aucune faute de goûts dans ses choix. Chaque scène sert le film et le rythme, ni trop faible, ni trop lourd, parvient à laisser le spectateur portée par le récit. Ample et simple, sa mise en scène ne juge pas ses personnages où l'empathie et la tendresse envers eux se fait par la prestation de ses interprètes, tous impeccables. Une pensée pour Elodie Bouchez que je ne connaissais pas ( La Vie Révée des Anges que je dois voir à tout prix ) et qui donne une performance vraiment étonnante en face d'un Sami Bouajila impeccable.
Le film pointe du doigt bien évidemment la politique de la guerre contre l'immigration et reste engagé dans le sens où dès la première scène du film, très bonne d'ailleurs, les personnages élaborent une sorte de stratégie quand à l'administration chargée de l'entrée du territoire des immigrés. Kechiche réalise des films ancrés dans leur époque (si on excepte Vénus Noire et encore...) et c'est toujours intéressant de voir un cinéaste raconter une histoire à travers un contexte bien précis et une réalité sociale qui peut tous nous concerner. Une réalité sociale tantôt dépeinte avec gravité, tantôt avec ironie et c'est ce qui fait que son Cinéma reste frais, éloigné de toute surenchère inutile. Jallel, cet arabe qui fera figure de Candide des temps modernes, arpentant cette société et sa réalité en cherchant un monde meilleur. Qu'importe le bonheur quand on a l'espoir? Un très beau film en somme.